Une discussion intéressante sur les notions de justice, droit et morale chez deux débatteurs de qualité : Georges Kaplan sur son
blog : Ordre spontané et Nicomaque sur le sien : Nicomaque
I / Kaplan :
"Mon papier sur le Pacte 2012 pour le Justice et les commentaires de Me Eolas a suscité quelques émotions (sur Contrepoints et par mail principalement). Par ailleurs, l’Institut Pour la Justice a publié une réponse aux attaques de Me Eolas (voir aussi les commentaires de Cicero Alunitius). Il se trouve qu’il y a, parmi les membres et sympathisants de l’IPJ, un certain nombre de gens pour lesquels j’ai beaucoup de respect et d’amitié ; en conséquence de quoi, il est tout à fait possible que – finalement – j’ai bien fait de signer ce pacte. Je suis donc en train de lire ce que publie l’IPJ – ce que j’aurais du faire avant de signer – et je vous invite à faire de même. Ça, c’est fait.
Je voudrais revenir sur cette notion de dissuasion. Lors de mon précédent billet, j’évoquais cette vieille idée qui me trotte dans la tête selon laquelle, selon moi, la justice ne devait pas être pensée en tant qu’instrument répressif mais en tant que système de dissuasion (Nicomaque me signale que c’est la position que défend l’IPJ). J’ai lu pas mal de commentaires qui assimilent cette notion à de la « prévention ». Ce n’est pas nécessairement faux mais ça mérite tout de même d’être précisé : si par prévention, vous pensez à un système d’incitation destiné à prévenir la criminalité ; nous sommes d’accord. En revanche, si par prévention, vous pensez à je ne sais quel machin social ou autre campagne d’information destinée à expliquer aux sauvageons que tuer, voler, violer (etc…) ce n’est pas bien ; alors là, on est pas du tout sur la même longueur d’onde."
Suite chez Kaplan dans : "Maths dissuasives"
II/ Réponse de Nicomaque :
"Cher Kaplan votre mise au point concernant la philosophie pénale en termes de calcul coût-bénéfice est tout à fait pertinente mais je voudrais y ajouter deux ou trois choses sur lesquelles nous serons peut-être en désaccord.
Nous sommes je pense d'accord sur un point : c'est le traitement « social » du crime qui a conduit à diaboliser la dissuasion depuis les années 50. C’est-à-dire l’idée que les causes profondes de la criminalité résideraient dans l’inégalité des revenus et dans les injustices sociales comme le racisme ou la discrimination.
Selon ce point de vue "socialisant", les criminels seraient d’abord des victimes.En réalité, comme votre billet tend à le montrer, ce n’est pas la pauvreté qui engendre le crime, c’est l’opportunité d’un gain facile et sans risque. Le comportement criminel est donc une réponse rationnelle à des incitations et des opportunités. La criminalité baisse ou augmente en réponse à ses coûts attendus en termes de probabilité de punition.
Or je crois qu’il ne faut pas seulement réhabiliter la fonction dissuasive de la peine mais qu’il faut aussi, allons plus loin, réaffirmer l’idée qu’un crime est punissable parce qu’il est en lui-même une injustice commise contre les droits d’un ou de plusieurs individus. La punition doit, bien entendu, être strictement proportionnelle au crime."
Suite chez Nicomaque dans : "De la justification morale de la peine "
III/ objections de Kaplan :
"Cher Nicomaque,
Comme tu le supposes très justement, nos avis diverges dès lors qu’il est question d’introduire une notion de morale dans la justification ou l’établissement d’une peine.
Je suis méfiant quant à cette notion de morale. De quelle morale parlons-nous ? Dite par qui et sur quelles bases ? Je tiens, moi, qu’il y a à peu près autant de morales que membres de la société. Celui-ci fondera ses jugements moraux sur des préceptes religieux, celui-là verra la morale au travers du prisme de ses convictions politiques. Quoique nous fassions, et même si nous réussissons à dégager un consensus, ce que tu nomes « morale » ne saurait être universel ; et je crois même que ni toi ni moi n’aimerions vivre dans un monde où les hommes sont à ce point semblables qu’ils partagent tous la même définition de ce qui est moral et de ce qui ne l’est pas."
Suite chez Kaplan dans : "lettre à Nicomaque"
IV/ réponse de Nicomaque :
"Cher Kaplan
(suite du débat)
J’admets avec toi que la morale a souvent servi de prétexte à des intrusions inadmissibles dans la vie privée des individus. Mais je maintiens qu’il ne peut y avoir de droit sans morale. Un droit purement utilitariste est impossible. Tu reconnais d’ailleurs toi-même que le droit est « un système fondé sur un nombre aussi limité que possible de principe moraux, des idées suffisamment simples et consensuelles pour qu’elles puissent faire l’unanimité ». Cette idée d’un droit naturel comme seule base d’un système juridique me convient parfaitement."
Suite chez Nicomaque dans : "Du conservatisme moral et culturel"
V/ Réponse de Georges Kaplan en forme de conclusion? :
Il nous faut, je crois, distinguer les normes morales elles-mêmes de leur inscription dans la loi.
Sur la morale en tant que telle, je considère qu’il n’y a pas une morale unique mais des morales individuelles qui, prises ensemble, permettent de dégager un plus petit dénominateur commun ; une conception commune du bien, du mal, du juste et de l’injuste. Tu me dis, par exemple, que tu te définis comme un conservateur moral et culturel ; c’est bien là une des définitions possibles de la morale. Pourtant, tu ajoutes que, bien que conservateur, tu refuses d’imposer tes préceptes aux autres par la force de la loi : c’est, comme tu le dis toi-même, une position originale parmi ceux qui se reconnaissent sous l’appellation de conservateurs – et une position bien plus courante chez les libéraux. C’est donc bien une conception de la morale qui t’est propre, issue de l’héritage transmis par tes parents comme de tes propres expériences et réflexions. De la même manière, si je partage ton attachement à un certain nombre de valeur traditionnelles, je ne me considère moi-même pas comme un conservateur ; il y a aussi en moi un « progressiste » qui pourra, en certaines occasions, voir le bien où tu vois le mal, voir l’injustice où tu ne vois que justice.
Suite chez Kaplan dans "Deuxième lettre à Nicomaque"
Le concept clef qui permet d'analyser ce genre de situation, c'est celui de "socialement proche", développé en URSS : les délinquants de droit commun y étaient vus comme des victimes de la bourgeoisie, et bénéficiaient d'un traitement de faveur, leur mission officieuse étant de terroriser les individus pacifiques pour que ceux-ci soient contraints de se ranger dans le giron de l'Etat.
RépondreSupprimerhttp://fr.liberpedia.org/Socialement_proche
-Baraglioul
"Socialement proche"
RépondreSupprimerGénial!
Pourquoi tous les socialistes ou assimmilés de la toile réclamant sans cesse la levée de l"anonyma"t? Pour que les les voyous puissent accomplr leurs missions, CQFD!