vendredi 22 juillet 2011

Restif à propos de Philip Roth

 Restif de temps à autre me fait l'honneur de commenter quelques unes de ses lectures. Ici, il évoque Roth que j'aime beaucoup. Je laisse donc, après sa permission, à qui le souhaite, le plaisir de découvrir cette évocation d'un très grand écrivain par un ami qui s'y entend en littérature.

Tu sais, tu avais mis un très bel extrait de Philip Roth sur ton blog, un passage tiré de "J'ai épousé un communiste". J'avais trouvé ça si bien écrit, si sec, efficace, dense et intelligent au plus haut point que j'ai commencé un travail intérieur de réhabilitation de Roth que j'avais méconnu. En Bretagne il s'est trouvé que je suis tombé sur un livre excellent de l'auteur (mais j'ai un problème de titre. Je crois que c'est "Ma vie d'homme" mais ce pourrait être "La contrevie" que je possède, dont le nom m'est donc familier et sur lequel  je n'arrive pas à mettre la main –pas plus d'ailleurs que sur "Le théâtre de Sabbath" et "Opération Shylock" que je désirais relire  sérieusement). Enfin si tu l'as lu tu retrouveras  le titre : en fait c'est la même histoire écrite deux fois et encore passé en revue dans une troisième "nouvelle" qui  forme avec les deux autres un véritable roman. Art de la fugue, de la variation, médiation sur la fiction et le réalisme, sur les pouvoirs de l'écriture, mais tout ça –et beaucoup d'autres choses encore – sort du livre sans jamais être démontré, jamais l'auteur ne monter en chaire pour expliquer son esthétique, non, tout est  découvert par le lecteur même grâce aux indices que le texte laisse affleurer, magistralement, une écriture d'une subtilité extrêmement rare, qui ne prend pas le lecteur pour un idiot à qui il faut mâcher les choses, mais qui se contente de raconter et décrire des sentiments et des événements et de laisser le lecteur en tirer toute la substantifique moelle.  C'était une vraie redécouverte d'un écrivain que "Portnoy et son complexe" que j'avais adoré mais qui n'était pas très sérieux, qui a bien des aspects de pochade, que Portnoy disais-je m'avait d'abord fait classer dans les néo-Miller à la sauce hyperbolique et hyper satirique carnavalesque. Donc "Ma vie d'homme" (on va dire que c'est ce titre là) fut déjà une révélation et je rendis justice à l'homme qui avait écrit avec une telle maestria.


Car il y a là une maîtrise des techniques narratives à couper le souffle, je ne vais pas entrer dans les détails mais ce bouquin devrait être donné à lire aux étudiants de Deug de lettres pour qu'ils apprennent ce que c'est que trousser une histoire, savoir jouer sur des angles qui se contrarient et s'appellent en même temps, comment l'agencement permettent de saisir les personnages et leur(s) aventure(s) sous toutes leurs dimensions- disons que là où tant de personnages avec leur fait, leur vie, sont en deux dimensions, ici ils apparaissent en trois. Et cette manière de  rejouer la même partition trois fois de suite en y intégrant des textes de lecteur professionnelles (agent, éditeur, ami fin lecteur )mais aussi ceux des personnages eux-mêmes qui donnent leur avis sur la manière dont on les a transformés, et bien cette manière, ce tour de main et de force est d'une maestria très rare.

 
 Du coup, lorsque j'ai pris le train ce matin, en furetant pour trouver un livre à lire (des fois que les 3 que j'avais avec moi ne suffiraient pas ^^ ; en fait c'est une excuse pour acheter un livre et parfois lire en train de la littérature "facile", du polar dont on cause avec Cherea notamment) lorsque j'ai vu "Exit le fantôme" de Roth j'ai bondi dessus. C'est tout simplement magnifique. Un grand livre. Pas très épais -366 pages folio, rien à voir avec "Le théâtre de sabbath" ou "Opération Shylock" - , ce livre au titre à mon avis mal traduit (en effet, "exit le fantôme", en anglais "exit the gost" fait référence aux pièces élisabéthaines où sont indiquées les entrées et les sorties –enter the gost/Exit the gost. Et quelle est la pièce élisabéthaine la plus connue où il y ait un fantôme? Hamlet! Enfin pour revenir à la traduction du titre –le reste est très bien mais faudrait voir le texte anglais- je ne crois pas que les gens feront forcément le rapprochement avec le monde du théâtre, or c'est capital. Moi j'aurais osé appeler ça "Le fantôme quitte la scène", c'est bien plus lourd mais bien plus fidèle aussi. En tous cas…Écoute, je n'ai pas le temps et ce que je fais là n'est pas bien il me faut manger et voir si je peux un peu bosser avant de finir demain. Je ne veux pas massacrer ce que j'ai découvert en écrivant  poussé aux fesses, en culpabilisant. Mais c'est tellement beau…Je veux juste te citer un passage (qui met en relief le fait que le "fantôme" du titre ce n'est pas seulement l'écrivain Zuckerman, double de Roth, vieillissant, ayant dépassé les 73 ans et qui avance vers sa fin, avec le corps qui l'abandonne, et qui se paye un dernière virée de retour au monde après être resté 10 ans seul dans sa maison sans voir personne que le couple qui gère le matériel, sans lire une seule revue, sans regarder une seule chaine, ne faisant qu'écrire et lire. Non, il y a bien des fantômes dans ce livre. 

Enfin lis ça "Nous les gens qui lisons et qui écrivons nous sommes finis, nous sommes des fantômes qui assistons à la fin de l'ère littéraire.".  C'est si déchirant ce livre, avec cet écrivain qui ressemble à Roth (mais qu'importe? Il nous le fait bien comprendre, la vie réelle des écrivains n'a aucun intérêt, seule compte l'œuvre), cet écrivain qui vieillit qui voit arriver, inéluctable,la fin du voyage. Et qui ne croit pas.Qui n'a que son art, qui n'a que la littérature pour espérer  en une survie. C'est magnifique, c'est un livre de grand maître.  Roth à mon sens se hausse au dessus de tout ce qu'il a fait, même l'excellent (et peut être plus qu'excellent) "Ma vie d'homme" que j'ai lu là-bas pâlit à côté de ce livre testamentaire. Et c'est une découverte que je te dois, car si je n'avais pas lu l'extrait de "J'ai épousé un communiste" que tu as délicatement cité sur ton blog, le travail du changement de regard ne se serait peut être jamais déclenché, ou dans combien de temps. Je comprends aujourd'hui que j'étais trop jeune pour le lire bien avant. Il faut avoir vécu pour reconnaître l'acuité du regard.

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