samedi 14 mai 2011

L'art de la nouvelle, par Flannery O'Connor (1ère partie)

 Il m'a manqué ces dernières années un ou une amie.J'aurais aimé connaître Flannery 0'Connor, m'assoir avec elle sur les marches de sa véranda, observer, une tisane à la main, ses paons, rire avec elle surtout, j'aurais voulu discuter à l'infini de la vie, de la mort, des enfants, du repas du soir à confectionner, bref, j'aurais voulu avoir une vraie amie. Une seule. En la lisant, Flannery, je me persuade que je suis avec elle, devant sa ferme, que le soir tombe et qu'elle me sourit.

Lisez ce petit texte, il est limpide comme un horizon au bout d'un champ.

"J'ai tendance à penser que la plupart des gens ont un talent inné de conteur, qui se perd par la suite. Bien sûr, l'habileté à créer de la vie avec des mots est essentiellement un don. Si vous le possédez au départ, vous pouvez le cultiver. Si vous ne l'avez pas, mieux vaut abandonner.
Je me suis aperçue que ce sont ceux qui ne l'ont pas qui sont possédés par le démon de la littérature.
(...)
Une nouvelle implique nécessairement, d'une façon dramatique, le mystère de la personne humaine. Je me souviens qu'une de mes voisines, une femme de la campagne à qui j'avais prêté quelques nouvelles, me les a rendues en me disant : Eh bien, ces histoires-là racontent simplement ce que bien des braves gens seraient capables de faire", et je me suis dit qu'elle avait raison. Il faut consentir à partir de là : montrer ce que certains seront capables de faire et feront en dépit de tout.
C'est donc à un très modeste niveau qu'il faut se situer, mais la plupart de ceux qui cèdent au désir d'écrire refusent de partir de si peu. Ils veulent écrire sur des problèmes, pas sur des êtres humains, ou sur des questions abstraites, pas sur des situations concrètes. Ils ont une idée, un sentiment, un moi surdéveloppé, ou le désir d'Être Ecrivain, ou encore ils veulent communiquer leur sagesse au monde à travers un mode d'expression assez simple pour que le monde puisse s'en pénétrer facilement. En tout cas, ils n'ont pas d'histoire à raconter, et même s'ils en avaient, ils ne consentiraient pas à l'écrire. A défaut de récit, ils sont en quête d'une théorie, d'une formule, d'une technique.
Tout ça ne veut pas dire que pour écrire un récit il faut oublier ou abandonner aucune de vos opinions morales. Vos convictions sont la lumière qui vous guide, mais elles ne sont pas ce que vous voyez, elles ne vous dispensent pas de voir. C'est dans l’œil que s'opère la vérification pour l'auteur de fictions. L’œil plonge au tréfonds du cœur. Notre œil englobe, avec tout ce qu'il peut percevoir du monde, notre personnalité toute entière. Il renferme le jugement. Le jugement a sa source dans l'acte de voir, et lorsqu'il ne l'a pas, ou s'il dissocie de la vision, une confusion s'établit dans l'esprit, qui passe dans le récit.
(...)
J'ai une amie qui suit des cours d'art dramatique à New York chez une dame russe qui passe pour former d'excellents comédiens. Elle m'a écrit que le premier mois, les élèves n'avaient pas déclamé une seule ligne; ils n'ont rien fait qu'apprendre à voir. Apprendre à voir est à la base de tous les arts, à l'exception de la musique. Je connais beaucoup d'écrivains qui font de la peinture, non parce qu'ils sont doués mais parce qu'ils savent que cela les aide. Peindre les oblige à regarder. L'art romanesque consiste très rarement à dire, il consiste à montrer les choses.
(...)
Naturellement, ceci soulève la question épouvantable de savoir à quel genre de lecteur on s'adresse. Sans doute chacun de nous croit avoir une solution. Quant à moi, je mets la barre très haut quand il s'agit de l'art romanesque, mais très bas quand il s'agit de ce qu'on appelle le lecteur "moyen". Je sais que je ne peux lui échapper, que c'est lui dont je suis censée soutenir l'intérêt, en même temps je suis censée fournir à mon lecteur intelligent l'expérience profonde qu'il cherche dans la littérature. En fait, l'un et l'autre ne sont que des aspects de la personnalité de l'auteur, si bien qu'en dernière analyse, le seul lecteur que l'auteur puisse un peu connaître est lui-même."

2 commentaires:

  1. Bonsoir Joie du Jour, pourriez-vous citer plus précisément vos sources pour ce joli texte (titre, année, éditeur). Dans l'attente de vous lire - bien sincèrement - Ginette

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  2. Alors sources : Flannery O'Connor, Oeuvres complètes, éditions : Quarto Gallimard,année 2009, dans la conférence "L'art de la nouvelle", p. 855 à 860.

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