dimanche 9 janvier 2011

Ce qu'il faut faire.

« Syméon les bénit et dit à Marie, sa mère: "Vois! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d'un grand nombre en Israël; il doit être un signe en butte à la contradiction, - et toi-même, une épée te transpercera l'âme! -- afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs." »
(Luc 2,34-35)


"Il l'assassinait. On n'a pas besoin de tuer son père. Le monde s'en charge. Il y a des tas de forces qui guettent le père. Le monde va lui faire son affaire, et il l'avait faite, en effet, à Mr Silk. Celle qu'il faut assassiner, c'est la mère. Et il était en train de s'y employer, lui, l'enfant qu'elle avait aimé comme elle l'avait aimé. Il assassinait au nom de son exaltante idée de la liberté! Tout aurait été beaucoup plus facile sans sa mère. Mais il fallait surmonter cette épreuve s'il voulait être l'homme qu'il avait choisi d'être, séparé sans retour de ce qu'il avait rçu en partage à sa naissance, libre, comme tout humain voudrait l'être, de se battre pour sa liberté. Pour arracher à la vie cette destinée de rechange, dont il dicterait les clauses, il lui fallait faire ce qu'il avait à faire. La plupart des gens ont bien envie de se tirer de l'existence de merde qu'il ont reçu en partage. Seulement ils ne passent pas à l'acte, et c'est ce qui fait qu'ils sont eux, tandis que lui est lui. Balancer son direct, démolir, et puis fermer la porte à jamais. On ne peut pas faire ça à une mère merveilleuse qui vous aime inconditionnellement et vous a rendu heureux; on ne peut pas lui faire ce chagrin et penser qu'on pourra revenir en arrière. C'est tellement affreux qu'il ne reste plus qu'à vivre avec. Quand on a fait une chose pareille, d'une telle violence, on ne peut plus jamais la défaire -or c'est justement ce qu'il veut. C'est comme à West Point, au moment où le gars s'écroulait. Il a fallu que l'arbitre l'empêche de faire ce que lui dictait ses tripes. Ce jour-là comme à présent, il faisait l'expérience de son pouvoir en boxeur. Parce que cela aussi faisait partie de l'épreuve, de donner au rejet toute sa vraie signification humaine impardonnable, d'affronter avec tout le réalisme et la clarté possibles l'instant où le destin vient à croiser quelque chose d'énorme. Cet instant est venu, pour lui. Cet homme et sa mère. Cette femme et son fils bien-aimé. Si, pour s'aiguiser comme une lame, il a décidé de faire la chose la plus dure qui soit, à part la poignarder, c'est bien celle-ci. Le voilà placé au cœur même sujet. C'est l'acte majeur de sa vie, et sciemment, intensément, il en ressent la démesure."

Philip Roth, "La tâche"

1 commentaire:

  1. Merci pour ces textes. Occasion de nous rappeler les les mots de Fink' commentant Peguy que vous nous donniez l'an dernier.

    Sans oublier que "on ne dira jamais assez que pour cimenter les fondations de l'oeuvre éducative, la cruauté des pères est un liant indispensable au mortier" (ça, c'est pas Fink', c'est moi^^)

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