mercredi 10 novembre 2010

Miséricorde

[Mr. Head, un vieux grand père qui élève seul son petit-fils, Nelson, a emmené ce dernier à la grande ville. Perdus sur le chemin du retour, le grand père abandonne un instant le petit endormi, ce dernier se réveille et, affolé, heurte une vieille dame et la renverse. Cacophonie générale, des harpies entourent le petit garçon et Mr Head, arrivant dans la mêlée, paniqué par la tournure des évènements, nie connaître l'enfant. Après ce reniement, les deux protagonistes repartent vers leur train discrètement. Le garçon est abasourdi par le rejet de son grand père et le grand père, très malheureux, cherche à se faire pardonner par son petit fils.]



"Lorsqu'ils descendirent du train, l'armoise des champs avaient des frissons d'argent et sous leurs pieds le mâchefer s'éclaira de lumière noire. Les cimes des arbres qui entouraient la station comme l'enclos d'un jardin étaient plus sombres que le ciel tendu de gigantesques nuages blancs illuminés.
Mr. Head s'arrêta, garda le silence et sentit à nouveau l'effet de la miséricorde, mais il compris cette fois qu'aucun mot au monde n'était capable de le traduire. Il compris qu'elle surgissait de l'angoisse qui n'est refusée à aucun homme et qui est donnée, sous d'étranges formes, aux enfants. Il compris que c'était tout ce qu'un homme peut emporter dans la mort pour en faire don à son Créateur et il s'empourpra de honte qu'il en avait si peu à Lui offrir. Et il était effrayé, et il jugea sa vie avec l'absolue perfection du jugement divin, tandis que la Miséricorde couvrait son orgueil comme d'une flamme et le consumait.
Jamais il ne s'était considéré comme un grand pécheur, mais il voyait maintenant que sa vraie souillure lui avait été cachée de crainte qu'il ne s'abandonne au désespoir. Il compris que ses péchés lui avaient été pardonnés depuis le commencement des temps, lorsqu'il avait conçu dans son propre cœur le péché d'Adam, jusqu'à cette journée où il avait renié le pauvre Nelson. Il vit qu'aucun péché n'était trop monstrueux qu'il ne s'en puisse accuser et, puisque Dieu aimait dans la mesure où Il pardonnait, il se sentit, à cet instant, prêt à entrer au Paradis."


Flannery O'Connor, "Les braves gens ne courent pas les rues".

4 commentaires:

  1. Je viens d'en lire une (de nouvelle) extraordinaire : Les Boiteux entreront les premiers, que je me réjouis de vous faire découvrir pas plus tard que samedi, si nous sommes encore en vie, les uns et les autres.

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  2. Oui, nous discuterons de Flannery samedi, j'ai moi aussi quelques passages passionnants...Je me réjouis d'avance!

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  3. Ah, moi je l'aime bien aussi, Flannery O'Connor. Je peux venir aussi.

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  4. Oui, mais vraiment parce que c'est toi hein^^

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