mardi 10 août 2010

Pouvez-vous boire à la coupe où je bois?

"Il y a ces villages et ces paysages qui sont à la fois les prolongements et les derniers témoins de la France presque défunte peinte dans ces vieux films qui vous mettent les larmes aux yeux. "(Eisangélie)
 


Retour de vacances familiales, épuisantes (vaisselles pour vingt personnes minimum à chaque repas) et oh combien vivifiantes (la famille, toujours la famille et rien que la famille!), chapelets et haltes silencieuses dans la petite église où je me suis mariée il y a 19 ans de cela, ballades vers le soleil couchant, le soir, au milieu des vignes locales, des vaches et des tous petits veaux, observation patiente de la voûte étoilée unique au monde en ces lieux reculés, ne pas rater la sortie de la chouette du clocher voisin, le soir... et découverte de vieux livres poussiéreux, plus passionnants les uns que les autres.


J'étais partie aussi avec La source sacrée d'Henry James, et plusieurs fois, douillettement installée sous une couette moelleuse jugée sur un énorme lit à l'ancienne au matelas immense, je m'apprêtais à poursuivre le narrateur dans sa quête laborieuse et labyrinthique de la muse qui donne tout à celui qu'elle aime et le rend intelligent tandis qu'elle se vide de son propre esprit jusqu'à ne plus pouvoir parler, mais alors mon mari arrivait et m'engageait à chercher plutôt sa source sacrée à lui, si je puis me permettre, et évidement j'étais tentée par cette quête-là et alors, je ne lisais plus rien du tout.
Du coup, je n'ai pas fini Henry James mais j'ai réussi tout de même au sein de ces jours mi-ensoleillés mi- pluvieux à lire un Chesterton, Le nommé Jeudi, un conte fantastique éblouissant et d'une très grande beauté spirituelle (D'autant plus beau que Chesterton, lorsqu'il l'a écrit, n'était pas encore converti au catholicisme). Il faudra que je trouve des passages, pour vous, chers lecteurs, mais cela risque d'être difficile parce que tout se tient dans ce petit roman.
Si j'avais été écrivain, je pense que j'aurais voulu écrire cette petite chose magnifique, c'est sûr.


Un petit passage tout de suite, je ne résiste pas et qui me fait songer à ceci que j'avais écris il y a longtemps.* Mais ce passage, c'est tellement le Mystère dévoilé que je me demande dans quelle mesure je fais bien de vous le transmettre...


"Je vois tout! s'écria-t-il, je vois tout ce qui est! Pourquoi toute chose, sur terre, est-elle en lutte contre toutes les autres choses? Pourquoi chaque être, si petit qu'il soit, doit-il être en guerre avec l'univers entier? Pourquoi la mouche doit-elle livrer bataille au monde? Pourquoi le bouton d'or doit-il livrer bataille au monde? Pour la même raison qui me condamnait à être seul dans le Conseil des Sept Jours. C'est pour que chaque être fidèle à la loi puisse mériter la gloire de l'anarchiste dans son isolement. C'est pour que chacun des défenseurs de la loi et de l'ordre soit aussi brave qu'un dynamiteur et le vaille. C'est pour que le mensonge de Satan puisse lui être rejeté au visage. C'est pour que les tortures subies et les larmes versées nous donnent le droit de dire à ce blasphémateur : vous mentez! Nous ne saurions payer trop cher, d'agonies trop cruelles, le droit de répondre à notre accusateur : Nous aussi, nous avons souffert.
-Non, il n'est pas vrai que nous n'ayons jamais été brisés. Nous avons été brisés et roués sur la roue. Il n'est pas vrai que nous ne soyons jamais descendus de ces trônes : nous sommes descendus en enfer. Nous nous plaignions encore de souffrances inoubliables, dans le moment même où cet homme est venu nous accuser insolemment d'être heureux. Je repousse la calomnie : non, nous n'avons pas été heureux, je puis le dire au nom de chacun des grands gardiens de la Loi qu'il a accusés. Du moins...

Il s'était tourné de telle sorte que tout à coup il vit le grand visage de Dimanche qui souriait étrangement.
-Avez-vous jamais souffert? s'écria Syme d'une voix épouvantable.
Le grand visage prit soudain des proportions effrayantes, infiniment plus effrayantes que celles du colossal masque de Memnon qui terrorisait Syme, au Musée, qui le faisait pleurer et crier quand Syme était enfant. Le visage s'étendit de plus en plus jusqu'à remplir le ciel. Puis, toutes choses s'anéantirent dans la nuit.
Mais, Syme crut entendre, du profond des ténèbres, avant que sa conscience s'y fût abolie tout à fait, une voix lointaine s'élever, qui murmurait cette vieille parole, cet antique lieu commun qu'il avait entendu quelque part :
-Pouvez-vous boire à la coupe où je bois?"



*J’ai soif
L’enfant est né, après bien des alarmes.
Il est beau et repose sur le sein de sa mère.
L’enfant est né, après des cris et des larmes.
Il est maintenant une créature de la terre.

Mais son regard se porte déjà vers le ciel,
Ses bras se tendent vers l’immatériel,
Se referment dans le vide et le néant.
Il est une créature des cieux, pourtant.

Baptisé selon la coutume, avec de l’eau
Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit,
Dieu se love dans son cœur aussitôt
Feu ardent et rouge-sang dans le joyau.

Feu ardent et brûlant attiré par l’eau,
Il murmure maintenant et pour l’éternité,
Dans le cœur de cette âme embrasée
« J’ai soif , Moi le Seigneur, le Très-Haut » .

Descendu aux enfers, volontaire prisonnier
Au cœur de l’homme, un brûlant et divin secret.
Le Seigneur-Dieu, le Créateur, le Crucifié
« J’ai soif » murmure t-Il à l’enfant nouveau-né.

« J’ai soif ! » la Voix enfle et se perd
Dans une vie d’épreuves et de misère.
« J’ai soif ! » crient l’enfant et son Dieu-Trinitaire,
Ils sont à la fois, tous deux, l’eau et le désert.
« J’ai soif ! » parfois la Voix se tait, tout s’endort.

Le bruit du monde, la mollesse de nos corps
Assourdissent le doux murmure, le cri délirant
La voix du Père, et celle de l’enfant.
Occultée, la Voix du Tout-Puissant
Moquée, piétinée, écrasée, cette voix d’enfant

Et dans un silence d’outre-tombe
Quand tout est fini, mort, nuit sombre
Les martyrs, les saints, les pauvres, les malheureux !
De leur bouche pleine de cendre et qui ne s’ouvre plus
Naît un merveilleux sourire. Ils ne crient plus
Puisqu’ils ont appelé, et le Verbe est venu .
Le Calice suprême, La Coupe du salut,
S’est versée sur leurs lèvres, jusqu’à la lie
Ils ont bu.

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