dimanche 9 mai 2010

Du doute



Bonjour ***

(...)

Je m'intéresse à la philosophie politique (un bien grand mot!) simplement parce que l'étude des mouvements politiques, des grandes tendances permet de s'interroger sur la nature humaine. Voilà tout.
Finkielkraut écrit dans "La défaite de la pensée" : "Le communisme connaît donc un déclin qui semble inexorable : seulement, ce qui meurt avec lui, ce n'est pas la pensée totalitaire..."

Vous commencez par mettre en doute les valeurs de l'occident : pourquoi pas? Mais si vous mettez en doute tout, et le socle même de votre culture, de votre langue, de la littérature que vous aimez citer, je ne vois pas bien comment nous pourrons converser... Vous dites que ces valeurs, que je cherche ou sur lesquelles je veux m'appuyer témoigne d'un esprit militant qui serait opposé à une pensée métaphysique. Que dire? Une pensée avance, nécessairement, elle ne tourne pas en rond. Si pour vous, réfléchir et surtout apporter des conclusions ou des affirmations sont du militantisme, hé bien alors oui je suis militante!

Il faut que je vous cite Finkielkraut (je le lis en ce moment) dans "Le mécontemporain" : "Car Dieu n'a pas disparu, il a été remplacé : l'homme absous de sa finitude, dégagé des chaînes de l'expérience terrestre et qui,"au lieu d'observer les phénomènes naturels tels qu'ils lui sont naturellement donnés, place la nature dans les conditions de son entendement", cet homme n'est rien d'autre que le successeur de Dieu. Il y a donc bien, inavouée mais déterminante, clandestine mais caractéristique, une métaphysique de l'athée."
Vous allez me dire : Et pourquoi pas? Assumons cette métaphysique nouvelle! Finkielkraut toujours : "Récusant la réalité telle qu'elle s'offre à nos yeux de chair, il ne cherche plus à former une raison à l'image du monde mais, selon l'expression qu'emploiera plus tard Bachelard, à construire un monde à l'image de la raison." Et il conclut : "penser cette progressive maîtrise comme irrésistible progrès.... A ce jeu en ce temps-ci une humanité est venue, un monde de barbares, de brutes et de mufles... un règne de barbares, de brutes et de mufles; une matière esclave; sans personnalité, sans dignité, sans ligne; un monde non seulement qui fait des blagues, mais qui ne fait que des blagues...Cette nouvelle humanité est assurément méthodique et rigoureuse. Mais en domestiquant la matière, mais en délivrant l'intelligence du tact, sa méthode réussit là où échouent l'énergie aveugle et la seule "force qui va" de la brute primitive : la volonté de puissance se déchaîne au moyen de la rigueur et sous le couvert de ses prestiges."

Reprenons : cette pensée qui avance doit nécessairement avancer vers un but que j'appellerai Bien ou principes universaux (en philosophie) que nous pouvons connaître qu'imparfaitement. Du fait de notre être même qui est imparfait. Bon. Comme croyante,(et ici je m'extrais de la philosophie) je nommerais ce Bien : Dieu (et d'une certaine façon ce Dieu que je connais intellectuellement de façon très imparfaite, m'est plus proche que tout puisqu' Il m'habite, Il habite mon cœur ou mon âme. Je vous décris ici ma foi, je sais bien que vous ne la possédez pas ou plus.)

C'est cet inachèvement, imperfection humaine qui intéresse Delsol et qui m'intéresse aussi. C'est ce doute métaphysique qui constitue notre essence même qui m'intéresse parce que cela signifie l'obligation pour l'homme d'évoluer sans cesse, d'adapter au mieux sa raison et ses actes, ses principes universaux ( le droit à la vie, par exemple) avec la réalité concrète de l'instant donné, des circonstances données etc... Est-ce à dire que ce Bien n'existe pas? Non, il existe  mais nous ne pouvons que l'approcher de façon limitée.Est-ce à dire que la réalité est de notre fait et uniquement de notre fait? Non, il nous faut l'appréhender au mieux, cette réalité qui existe en dehors de nous. Et par nos chemins personnels et nos vies. Le paradis n'est pas promis pour ce monde-ci, ***, mais pour l'au delà.

Les grands systèmes idéologiques, en rendant l'homme irresponsable de ses actes (ils doivent obéir aux principes énoncés et à une réalité construite de toute pièce par eux-mêmes, une réalité qui a le mérite d'éliminer la misère de l'homme, le mal, la souffrance, mais une réalité qui ne leur est pas soumise ou "proposée", du moins : qu'ils ne veulent pas voir) lève le poids de ce doute métaphysique et permanent sur l'homme mais le rendent esclave d'une pensée uniforme, d'une vision faussée. D'une certaine façon, c'est plus facile d'être sous l'emprise d'un système totalitaire, la voie est tracée, il n'y a plus à penser. D'un autre côté, cela est contre la nature même de l'homme et donc le réduit à l'état de zombie, si je puis dire. On crée ainsi un homme nouveau, sorti tout droit de l'esprit humain, et qui doit à tout prix correspondre à cette "raison humaine". S'il ne correspond pas, il faut l'éliminer bien sûr. Mais s'il suit à peu près le chemin et ne s'écarte pas, alors il pourra vivre et s'intégrer au troupeau. Ceci pour son bien évidemment! Pour son "bonheur". Un bonheur inhumain.

Je cite Luchini : "Les politiques, surtout à gauche, n’intègrent jamais l’individu. Parce qu’ils ne veulent pas que l’homme soit confronté à la magistralité de son désastre solitaire." Assumer sa misère, c'est le propre de l'homme.
Alors, on peut toujours espérer sur une Apocalypse à la McCarthy, ou une énième révolution! mais assumer son époque, son temps à soi, assumer ce que l'on a à faire, cette réalité-ci qui nous est donnée, c'est à mon sens devenir vraiment un homme.

Votre doute n'est pas de même nature que le mien. Votre doute est un rejet de tout, du monde qui nous entoure, de l'homme misérable et imparfait, de l'homme souffrant, mon doute est celui de ma marche à suivre dans ce monde-ci avec cette souffrance et ce mal.

Quant aux religions, mythes ou réalité? Que dire? Les religions au départ ont permis à l'homme de donner un sens à la mort, de supporter justement la souffrance et la misère. Est-ce si méprisable? Non, l'homme a magnifiquement répondu à ce non-sens de la douleur et en cela il est admirable, et profondément intelligent! La création de mythes et de religions est une géniale invention de l'homme face au non-sens de la vie et de la mort! Les idéologies modernes, en refusant ou en dénigrant les religions, nient le sens de la mort et méprise la finitude humaine. Pourquoi pas? Se croire au dessus de tout, capable seul d'affronter la vie et la mort... Mais cela ne rend guère l'homme plus heureux, visiblement. Simplement plus désespéré, plus seul, sans appui aucun.

Quant à ma religion, je dois répondre par une affirmation qui ne vous contentera guère je le sais bien, mais qu'y puis-je? Ma religion est une foi, c'est à dire un cadeau gratuit que le Bon Dieu m'a fait dans ma tendre enfance, de par la volonté de mes parents (que je ne pourrais jamais assez remercier!). Cette foi, je la cultive peu ou prou mais j'y tiens et je l'aime. Cette religion catholique est une réponse, en un certain sens, incarnée, à cette aspiration naturelle de l'homme à se tourner vers un dieu. Dieu m'a  répondu alors, ô merveille des merveilles, personnellement : "Tu voulais me rencontrer? Me voilà!!"Je ne peux qu'espérer que vous la retrouverez un jour. Que vous Le rencontrerez un jour.
Voilà,  je ne crois qu'en la force du témoignage personnel, c'est tout. Et en la volonté de Dieu qui est bien assez puissant pour faire ce qu'Il veut avec chacun d'entre nous. Mais s'Il est puissant, je sais aussi qu'Il est respectueux de la liberté de l'homme, respectueux au point de préférer perdre des âmes plutôt que de se les approprier. Je le constate tous les jours autour de moi.

Vos doutes sur le problème du mal dans le monde, sur la souffrance et la mort d'un enfant, je les partage. Mais je suis soutenue, dans cette immense épreuve, par le regard et l'amour compatissant du Seigneur. Cela, je le vis et ne puis qu'en témoigner sans que vous puissiez vraiment le comprendre. C'est ainsi, et je ne peux qu'espérer que votre solitude (car tout homme est seul) soit un jour comblée par Celui qui est l'Amour et qui n'a eu de cesse de partager nos souffrances et notre misère jusqu'à les prendre sur la Croix.

3 commentaires:

  1. Très beau texte, et qui me touche tout particulièrement, en ces temps-ci.

    Cela étant, vous dites : « La création de mythes et de religions est une géniale invention de l'homme face au non-sens de la vie et de la mort! »

    Je pense que c'est plus et mieux que cela. Je ne crois pas que l'homme préexistait à la religion : ils se sont créés en même temps. Le jour où un signe a posé trois pierre sur le corps de son frère mort, il a en quelque sorte affirmé l'immortalité de quelque chose, et il a cessé d'être singe pour devenir homme.

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  2. Bien vu Didier. Je voulais montrer mon émerveillement face à l'existence et la nécessité des religions plutôt que de les mépriser pour prouver que c'est en s'affranchissant de tout qu'on devient soi-disant un homme.

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  3. Merci pour ce texte. Je le garde précieusement car je sais qu'il va me servir auprès de certains (qui sont dans le doute, ou pas...)

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