"Immanquablement un homme surgit alors, l'un de nous, en tous points notre semblable, mais doué d'une mystérieuse puissance de "vision" " Kandinsky
J’avais pu visiter, il y a quelques 20 ans de cela, comme élève, une expo. Turner au Musée d’Orsay et j’en gardais un excellent souvenir, quelque chose de doux et d’éthéré. Quelle erreur ! En observant les toiles de ce peintre hors-normes, j’ai pu imaginer un peu son caractère, ses souhaits en matière de peinture et je voudrais vous soumettre le portrait d’un personnage qui ne correspond peut-être pas à ce qu’il a été en réalité mais qui est un peu ce que j’en ai saisi grâce à cette exposition.
Il y a une citation du peintre Reynolds, à l’entrée de l’expo., qui dit, à propos des grands maîtres en peinture : « Considérez-les à la fois comme des modèles à imiter et comme des rivaux à combattre. »
C’est un excellent résumé de la vie de peintre de Turner qui a passé son temps à étudier les Anciens ( il débute par la passion de l’architecture, ce qui est intéressant car toute sa vie on lui reprochera son trait « indéfini » ou « grossier », et aussi par l’étude et la réalisation de nombreuses aquarelles) et qui dans le même temps, a passé sa vie aussi à les combattre, à choquer les canons de l'esthétique de l'époque, à bousculer les habitudes de vision de ses contemporains qui l'ont d'ailleurs rarement compris. Pas par haine ou jalousie, mais par volonté instinctive et tenace d'aller plus loin dans le regard.En fait c'est cette notion même de regard qui le gêne : il ne veut pas "voir" ou "faire voir" mais "vivre" ou "faire vivre".
Il se lance vers1790 dans ce qui est considéré comme l’art noble en peinture, la peinture à l’huile, et son influence majeure, Claude Lorrain le poursuivra toute sa vie. Dans le catalogue de l’exposition, cette anecdote émouvante : « C’est à la fin des années 1790 vraisemblablement qu’eut lieu la première confrontation entre Turner et les œuvres de Claude Lorrain. Plusieurs ont rapporté l’anecdote –fable sans doute !- selon laquelle, au spectacle de leur perfection, le jeune artiste émotif fondit en larmes, désespérant de jamais faire aussi bien. »
Turner va tout étudier, toute sa vie, admirer et combattre ses anciens maîtres et ses contemporains, les italiens, les flamands (au musée du Louvre en particulier vers 1802 dans lequel il couvre des carnets de notes et de croquis). Il se lance dans une maîtrise totale du paysage classique mais ce qui est frappant, chez lui, c’est que très vite, très tôt, ce classicisme harmonieux, serein, et quelque peu « glacé » l’ennuie et ne l’intéresse pas. Il peint nombre de paysages et de personnages (il aime Watteau ce qui peut paraître surprenant eut égard à sa réputation de peintre "robuste" ou rustique, par rapport au délicatissime Watteau) mais toujours on a le sentiment avec lui que le pinceau est pris d’un coup d’une espèce de frénésie indépendante de sa volonté, d’une volonté de dire quelque chose d’autre que ce qu’il voit, presque d’une rage de raturer tous ces classiques, de les barbouiller, comme un enfant (et cette image m’est venue très souvent pendant ma visite) qui met les pieds dans la flaque d’eau, qui met les pieds dans le plat, exprès, pour se faire remarquer. Plus qu’une volonté de se faire lui-même remarquer d’ailleurs, je pense que Turner voulait simplement attirer l’attention dans ses tableaux sur autre chose que le paysage ou les personnages.
Chez lui, m’a transmis l’audio-guide que j’écoutais religieusement, « ça n’est pas le sujet qui importe mais la peinture elle-même. »
Cela m’a tellement rappelé XP et ses textes que j’en ai ri toute seule en parcourant les allées. « Grossier, inattentif aux détails, trop rapide », voilà les qualificatifs qui revenaient dans la bouche des contempteurs de Turner, qualificatifs qui reviennent singulièrement souvent chez ceux qui critiquent notre XP national.
Ce qui intéresse Turner, c’est l’émotion. Nombre de ses tableaux invitent le spectateur à rentrer dans le paysage, à participer au drame qui s’y déroule. Trouver la violence picturale qui traduise la violence de la nature.
Turner si révolutionnaire pour son temps, précurseur de l’art abstrait. Traquer une réalité existante au-delà de la nature, au-delà de cette fichue réalité soi-disant indépassable.
Ma chère, je suis d'autant plus heureux que tu penses à moi pendant une exposition de Turner que je tiens de plus en plus et définitivement la peinture pour l'Art Majeur. Un peintre n'a nul besoin d'avoir des textes à l'esprit quand il tient son ponceau, mais il est fortement conseillé à l'écrivain d'avoir des images dans la tête, quand il écrit.
RépondreSupprimerC'est le grand drame de ma vie, ça, la peinture. Un art qui ne veut pas de moi. Mon cerveau est trop verbal et pas assez visuel...
Demain, je vais à Turin voir le Saint Suaire...Une belle image en perspective.
XP
Ce tableau de Turner que j'ai mis : on a le mal de mer rien qu'à le regarder! Incroyable.
RépondreSupprimerLe Saint Suaire, à voir avec les yeux de la foi et c'est un monde (divin) qui s'entrouvre à nous.
Bonjour.
RépondreSupprimerTurner "Grossier, inattentif aux détails, trop rapide"?! Plutôt fin parce que léger, aérien, parfois brutal et terrien mais dans ce cas mouvementé, tourmenté, efficace donc attentif à l'essentiel mais aussi aux détails, voir les gréements certes suggérés mais tout y est baumes et haubans, drisses et écoutes.
Au revoir.
Oui, anonyme, mais tout ce que vous voyez aujourd'hui, à l'époque était mal perçu par ceux qui étaient habitués à un pinceau plus raffiné. Turner était capable (et il l'a prouvé parfaitement) de très grands raffinements. Mais ça n'était pas pour lui, premier. Ce qui était important c'était que cela serve le tableau, la vision. Si les détails parfois paraissent flous, c'est parce que c'était voulu et non pas parce que c'était des erreurs.
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