mercredi 7 avril 2010

Littérature et vérité, Alain Finkielkraut dans Répliques.Partie 1

 Retranscription.
Avec Camille Laurens et Pierre Jourde, émission de France Culture du samedi 03 04 2010.

Introduction de Finkielkraut :

A l'occasion de la 3ème édition du salon du Livre, Le Monde a publié un grand dossier sur 30 ans de littérature française. Dans un article introductif, Thomas Clerc affirme avec force que la littérature contemporaine s'incarne exemplairement dans l'écriture de soi. Incontestable, dit-il est le retour du sujet que l'on observe depuis les années 1980.Fait mal compris, ce retour est salutaire puisqu'il a permis l'explosion de la sphère autobiographique qui est ce qui est arrivé de mieux à la littérature française des trente dernières années. Ce retour n'est pas réactionnaire : en effet ce n'est pas un vieux sujet qui revient mais un autre, traversé par de multiples polarités; "je" est toujours pluriel.
A mes deux invités, les écrivains Camille Laurens et Pierre Jourde je voudrais commencer par demander s'ils souscrivent à ce diagnostique, s'ils partagent cette analyse.

Camille Laurens : Oui, je partage tout à fait ce point de vue de Thomas Clerc. C'est d'ailleurs un très bel article.Ce qu'il dit notamment sur le retour du sujet, mais en précisant que c'est un sujet différent  me paraît extrêmement juste parce que le "je" qui revient n'est pas ce "moi" qu'on accuse de narcissisme, de nombrilisme, c'est un "je" qui est conscient d'être une fiction. La psychanalyse est passée par là au fond, entre autre, et c'est pourquoi je préfère parler "d'écriture de soi" plutôt que de ce qu'on voit parfois "d'écriture du moi" parce que le "soi" me paraît avoir une dimension plus universelle et moins narcissique justement et c'est un sujet qui est conscient de son ambiguïté, de sa duplicité, conscient des masques , des trompe-l'œil qu'il peut.... c'est un sujet littéraire c'est à dire qui est saisi par la littérature et qui a conscience de ce qu'est la littérature et qui réfléchit à ce qu'est la littérature dans les textes littéraires.

F. : Pourquoi CL dites-vous que c'est une fiction? Même le terme d'autofiction est un peu gênant parce que le choix chez beaucoup d'écrivains et chez vous notamment est celui, malgré tout, d'une certaine sincérité? Vous vous inscrivez dans une tradition d'ailleurs très belle et très ancienne, mais enfin on lit quelque chose comme des confessions!ça a commencé avec Saint Augustin, on a les Confessions de Jean-Jacques, mais on sait bien que l'auteur se met peut-être même en danger, en tous cas, s'expose! [CL : "oui"] Comment concilier l'exposition de soi avec l'affirmation qu'il s'agit d'une fiction?

CL :  Il s'expose mais avec la conscience qu'à partir du moment où il utilise des mots pour le faire, à partir du moment ou il raconte, où il écrit son histoire, il a conscience de truquer d'une certaine manière la réalité - le mot n'est pas la chose - donc il y a une reconstruction de ce qu'il a vécu, il y a une recomposition, ne serait-ce que par l'architecture romanesque. Alors je distinguerai malgré tout, en ce qui me concerne, le récit autobiographique, - je dirai que "Philippe" est un récit autobiographique où je racontais avec très peu de dispositifs fictionnels la mort de mon fils Philippe - je distinguerai ce récit, qui relève pour moi de l'autobiographie, de mes romans qui sont des autofictions, -enfin, je n'aime plus tellement ce terme parce qu'il est vraiment très dévoyé- mais en tous cas c'est de "l'écriture de soi" au sens où je viens de l'expliquer.

F. : "Écriture de soi" et "des autres" [CL : "et des autres, exactement"] et l'importance aussi souvent -et on y reviendra pour "Romance nerveuse"-, c'est de se dire que ce personnage de paparazzi existe! Vous changez son nom mais vous l'avez rencontré! Et pour le lecteur c'est capital de le savoir.C'est une création romanesque...

CL : le sujet n'existe que dans la relation avec autrui...

F. : Pierre Jourde, que pensez-vous de ce constat de Thomas Cler?

PJ : C'est un constat sur lequel il a raison. Il y a aussi parfois quelque chose d'excessif, parfois un impérialisme de "l'écriture de soi". Je crois avoir lu sous la plume assez récemment de Catherine Millet - qui est quelqu'un dont je respecte tout à fait l'œuvre par ailleurs- que il n'était plus possible aujourd'hui de faire de la fiction, de la fiction toute simple, que l'écriture moderne c'était de "l'écriture de soi".Ca me semble aller un peu trop loin, si vous voulez. Si on revient maintenant à l'autofiction et à "l'écriture de soi", le terme fiction me paraissait central dans l'expression autofiction et me paraissait important précisément pour ce que vient de dire CL très justement : nous sommes des fictions à nous-même, -nous sommes des fictions à nous-même- nous ne pouvons plus croire à ce "je", à ce "moi" solide, d'un bloc, que l'on pourrait saisir et exprimer avec simplicité. Donc, l'autofiction en effet, du point de vue de "l'écriture de soi" dans la modernité, me semble en soi un genre nécessaire.
     Un genre nécessaire : l'homme est traversé de mythes, traversé d'histoires, traversé de récits, il se parle à lui-même, il se ment à lui-même et je crois que ce phénomène est même encore accentué par la modernité qui est une époque où nous sommes de plus en plus traversés de discours.Si j'ai des réserves par rapport à l'autofiction, ou "l'écriture de soi", c'est d'une part à cause de ce côté parfois impérialiste, -mais c'est  assez secondaire- d'autre part parce qu'il y a "autofiction" et "autofiction".Il y a en effet une autofiction, une "écriture de soi" qui va très loin dans la dissolution de cette fiction du sujet.Et là il m'intéresse.

F. : Vous pensez à quoi?

PJ : Je pense à Renaud Camus, par exemple. Il y a une autobiographie qui va très loin dans le travail de déceler les mythes en soi. Là, je penserai plutôt aux autobiographies d'un Claude-Louis Combet. Et il y a aussi une "écriture de soi" qui est devenue une sorte de marchandise.
     J'ai lu à plusieurs reprises, sous la plume d'ailleurs de critiques très honorables, qu'au fond parler de soi c'était quelque chose qui était devenu nécessaire parce que c'était une forme de révolte, de rébellion contre la société. Ce qui me parait être en fait une inversion de la réalité des choses.Que consommons-nous? Que consomment les médias? Que consomme la société marchande sinon de l'exhibition? En ce sens, -je ne dis pas toute l'auto fiction dont j'ai dit je crois clairement à quel point elle me semblait un genre important- en ce sens, certains auteurs d'écrits intimes vont à la rencontre de cette commercialisation de l'exhibition et le font d'une manière qui n'interroge pas du tout en effet cette fiction de soi mais qui consiste à quoi faire : à produire sans cesse ce que Barthes appelait de l'effet de réel. J'ai été là, j'ai rencontré truc, machin, un peu de name-dropping, j'ai acheté ci chez le boulanger, etc, etc.... Au fond, avec cette idée que -c'était un peu l'idée de Barthes- plus c'est insignifiant, plus ça se rapproche, en effet, d'une expression du réel, une manifestation de la réalité mais cela consiste non pas à interroger quoi que ce soit mais à penser que la manifestation de données brutes, de soi, au fond, auraient en soi de la valeur.Et c'est cela qui me gêne considérablement parce que ça consiste au fond à penser quelque chose qui est très très vieux, très en deçà des découvertes de la modernité et notamment à partir de Proust, c'est qu'il y a quelque chose avant l'écriture et que l'écriture consiste simplement à exprimer ce quelque chose qui précéderait l'écriture. En ce sens il y a des formes d'écriture de soi qui me semblent -allez!- réactionnaires littérairement...

5 commentaires:

  1. Pour ce qui concerne Renaud Camus, je me permets de renvoyer vos lecteurs plutôt à son site personnel. A lire en priorité, son "work in progress", intitulés Vaisseaux brûlés, conçu directement pour le net (avec hyperliens, etc.).

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  2. Merci Didier, je ne connais pas du tout Renaud Camus mais j'ai lu ces jours-ci un merveilleux petit roman intitulé "Loin". J'ai beaucoup beaucoup aimé.
    Je vais changer le lien que j'avais mis et mettre celui que vous proposez et j'irai lire.
    Mais attendez la suite de cette émission! : Finkielkraut fait une ma-gni-fi-que citation de R. Camus, très éclairante sur le sujet de "l'écriture de soi".

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  3. Si vous me lancez sur Renaud Camus samedi, on risque d'y passer la journée et d'endormir tout le monde !

    D'une manière générale, le Camus romancier n'est pas celui que je préfère, mais...

    Non, non, il faut que j'arrête, là !

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  4. Je suis un lecteur de Camus et j'ai aussi été déçu par le roman. Est-ce parce que dans Loin, l'écrivain qui nous connaissons beaucoup par son exposition a perdu son mystère? Le roman était prévisible, un ressassement sans chair de ces thèmes.

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  5. Felix : je comprends que le roman de Camus puisse vous décevoir mais je suis contente, quant à moi d'avoir abordé Renaud Camus par ce livre qui est "facile" et qui expose assez bien me semble t-il une forme de dissolution d'être par une dissolution dans l'espace.J'ai aimé ce héros qui renonce quelque part à prendre sa part dans le monde. C'est une tentation, pour tous. J'ai aimé les dialogues, vivants, l'ironie émouvante et non cynique du héros. Voilà.

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