Je pense que le bateau Occident a déjà coulé, je pense qu'il est au fond de l'eau depuis un moment.Je ne saurais dire lequel.
Je l'ai déjà dit ici et je le redis : je pense que nous sommes "morts".
Mais je pense que nous pouvons renaitre de nos cendres. Et nous le ferons dans la peau de ce que nous sommes, dans la peau d'Occidentaux puisque nous sommes Occidentaux.Sans doute en retirant de cette peau d'Occidental tout ce qui "gratte", toutes nos puces et nos verrues mais sans vraiment nous éliminer, nous, complètement. Ce serait stupide.
Quand on est au fond de l'eau, il faut donner un coup de talon pour remonter à la surface. C'est cette phase là qui m'intéresse aujourd'hui.
Je vais remettre des passages de Delsol, "Qu'est-ce que l'homme" car je crois qu'elle explique bien la nécessité d'émancipation de l'homme, par rapport au non moins nécessaire enracinement.
Passages d'une synthèse de ce livre :
L’émancipation comme recherche d’un autre enracinement.
Cette émancipation, cette échappée vers un ailleurs permet à l’homme de se situer dans un monde et même de constituer ce monde. Il ne s’agit de changer de lieu ni de milieu mais simplement d’améliorer ce qui peut l’être et de remédier à certaines souffrances. Il s’agit donc d’instaurer un enracinement différent. Cette émancipation est donc bien un arrachement mais pour retrouver une appartenance jugée meilleure : « S’émanciper ne signifie pas, en se libérant d’une autorité, se mettre à flotter librement sans attache et s’écarter de toute appartenance, mais accéder à d’autres enracinements… »(P163)
Cette émancipation a vocation à englober le plus d’êtres humains possibles.
Prométhée et le bivouac de Trotski.
Cette évolution ou émancipation humaine existe depuis toujours ; elle est anthropologique. Elle n’est pas apparue sous les Lumières.
Lorsque le temps historique d’une civilisation prend la forme d’une flèche et renonce à une forme cyclique, cela signifie qu’elle accepte les remises en cause et renonce à l’immobilisme.
Les Lumières n’ont exprimé qu’une impatience face à émancipation, une accélération du mouvement occidental d’émancipation.
Le mythe de Prométhée est la représentation de cette impatience : non seulement Prométhée actualise cette accélération de la civilisation par le don du feu mais il va plus loin en voulant transformer les hommes en dieux.
Pour Marx la volonté émancipatrice naît de l’exclusion d’un groupe (le prolétariat) par rapport à une communauté. Cependant chez Marx, cette exclusion qui provoque une logique émancipation est marquée par le fait que cette exclusion est radicale et totale. Donc « la volonté de supprimer tout enracinement signe la présence d’une émancipation pervertie. »(P167) Le prolétaire ne cherche pas à rejoindre une appartenance quelconque : il est au delà de l’enracinement, il n’est qu’émancipation, détaché de tout à l’extrême. « Avec la Révolution, la vie est devenue un bivouac. »
Cette volonté d’émancipation pervertie a donné le nazisme et le communisme et n’a pas disparu aujourd’hui. Elle continue à créer une violence réelle mais difficile à combattre. Il y a un déni de la réalité car l’émancipation à tout prix « oublie » le passé, l’héritage, elle récuse la culture qui pourtant existe bel et bien. Il y a une révolte contemporaine contre l’enracinement ; l’idéal, la volonté d’émancipation sans un enracinement préalable existe toujours aujourd’hui. Cette émancipation est pervertie dans le sens où elle récuse donc toute enracinement ou culture passée qui nous structure ; elle fabrique des zombies qui errent de bivouac en bivouac, d’appartenance en appartenance. En fait actuellement, avec cette volonté d’émancipation « no-limit » on détruit mieux encore qu’au temps du communisme la religion, la famille : « l’effort d’émancipation extrême équivaut à un travail d’indétermination par lequel l’humain perd peu à peu ses caractères. »(P172) Ces individus déracinés ne sont en fait pas libres comme ils pourraient le croire : ils sont ramenés simplement à leurs besoins primaires et donc à un matérialisme triomphant. La dernière structure à sauter sont tous les tabous de nos civilisations : « il s’agit de traquer le sacré pour le desceller, partout où il se trouve. » (P173)
L’effroi
Les êtres humains sont déterminés de deux façons : par leur monde culturel (coutumes, langages, comportements) et par des « besoins vitaux de l’âme » (cf Simone Weil) comme la liberté, l’égalité ou la responsabilité.
« Pourtant la difficulté ne se trouve pas seulement dans la saisie de la limite entre le transformable et le permanent… La difficulté se trouve aussi dans le danger qu’il y a remplacer un enracinement culturel sans risquer la dissolution irréversible d’un monde particulier qui nomme, définit et fait vivre des humains. » Il faut donc un vraie prudence dans ce mouvement émancipateur. Cette prudence ne signifie en aucun cas immobilisme.
La tentation du définitif
Autrefois, les excès de l’enracinement bloquaient cette velléité naturelle et nécessaire d’émancipation.
Aujourd’hui, l’émancipation totale, sans limites supprime tout enracinement.
« La modernité tardive s’est construite sur un éloge univoque de l’émancipation, sur une volonté de dés appropriation sans limites, sur une fuite vers toujours plus de liberté individuelle et vers la suppression jamais achevée des contraintes jusqu’à la plus infime…. Elle n’a pas admis que l’émancipation et l’enracinement, loin d’être des pôles antagonistes dont l’un devrait avoir raison de l’autre…sont les deux faces d’un même motif anthropologique. ; que la victoire de l’un sur l’autre revient à défigurer l’humain. »
Cette récusation globale de l’enracinement laisse croire que l’homme pourrait vivre « ailleurs » en abandonnant définitivement « l’ici »
Malgré une prise de conscience de notre délire d’émancipation à tous crins, nous n’avons pas encore trouvé vraiment d’équilibre. L’émancipation absolutisée devient une religion. La négation de nos enracinements culturels a pour conséquence d’imposer une sorte d’enracinement global, sorte de dogme généralisé qui pèse d’un poids diffus mais réel sur tous les hommes.
Le « glébeux » qui rêve.
Les Lumières ont fait de l’émancipation un évènement intégral, total, alors qu’il s’agit toujours d’un processus particulier, pour se libérer de certaines aliénations particulières.
« Ce sont les hommes qui font l’histoire » dit Vico, penseur des Lumières.(P182) En interprétant les évènements, nous créons notre monde. « Notre maîtrise est sagesse plus que science »
« Il n’y a dans le monde humain ni chaos ni nécessité : c’est la liberté qui le pense. Notre monde est entre nos mains : non pas que nous pourrions le remplacer, mais nous lui conférons son sens et l’améliorons progressivement selon des normes inventées par nous. »(P182)
Cette vision de Vico de l’histoire humaine peut paraître relativiste. En fait non, parce qu’il croit en un sens commun universel, une convergence des croyances et symboles à travers différentes cultures. Les normes sont relatives car tirées du jugement d’expérience mais selon un ordre universel qui englobe l’homme. Les lumières du XVIIIème siècle ont eu deux conséquences : le relativisme d’une part et l’absolutisation des normes présentes. Vico évite ces deux pièges. L’erreur des Lumières a été de se croire une rupture entre un âge des ténèbres et un âge de la lumière.
En fait l’homme est un « glébeux » (enracinement) qui rêve (émancipation). Le nazisme a laissé le sentiment d’un effroyable gâchis et donc le sentiment d’un retour en arrière alors que l’humanité doit se civiliser toujours plus. Les Lumières ont confondu le mal et l’enracinement. En fait le mal gît toujours dans l’excès ou la perversion soit de l’enracinement, soit de l’émancipation. « L’enracinement provoque soit des abus d’autorité personnelle, l’écrasement des individus au nom de l’équilibre de la communauté… L’émancipation suscite d’affreuses solitudes, le délitement des solidarités, le crime de la liberté toute-puissante.(P186) »
« L’homme possède à la fois des racines et des ailes. La grande erreur de notre temps est de ne pas l’avoir compris. »(P186)
Conclusion :
« En ce qui concerne le statut de l’homme, le passage de la « nature » à la « condition » marque l’apparition d’une anthropologie mouvante, parce que liée à notre interprétation et non à une dogmatique ; et d’une anthropologie universelle, parce que fondée sur l’expérience à travers le temps et l’espace…. La question désormais posée, essentielle parce que la philosophie des droits de l’homme en dépend entièrement, c’est celle de la royauté de l’homme. »
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