vendredi 6 novembre 2009

La Voix


[En pleine tempête, Jukes, le second, et son Capitaine, Mac Whirr, se retrouvent côte à côte, sur leur navire le Nan-Shan : ]

"-Nos canots sont en train de filer, capitaine.
Alors il entendit de nouveau cette voix de tête assourdie dont la vertu pacifiante était telle, parmi la discordance affreuse des bruits, qu'on l'eût dite venue de quelque contrée reculée loin au-delà du sombre empire de la tempête, de quelque asile mystérieux; il entendit de nouveau une voix humaine - Ce son fragile et triomphant où l'infini de la pensée repose, et la résolution et le dessein, et qui, le jour du jugement, lorsque les cieux seront roulés, formulera la confiance - de nouveau, il entendit cela, une espèce de cri venu de très loin :
-C'est très bien!
Jukes pensa d'abord qu'il n'était pas parvenu à se faire comprendre. Il insista :
-Nos embarcations - je dis : embarcations -les canots, capitaine! Deux ont disparu!
La même voix, à quelques pouces de lui et toutefois si lointaine, aboya judicieusement :
-On n'y peut rien.
Et sans que Mac Whirr eût tourné la tête, Jukes saisit encore :
-Faut s'attendre - quand on fatigue - à travers - un tel - laisser quelque chose - derrière soi - tombe sous le sens.

(...)
- Savez-vous où sont les hommes? disait la voix, vigoureuse et défaillante à la fois, victorieuse du vent, puis aussitôt emportée.

(...)
Pensée, velléité, effort, tout fut tout aussitôt confisqué, et la vibration imperceptible de son cri acquise à la vague immense de l'air.
Pourquoi ce cri? Qu'en espérait Jukes? Rien certes; ce cri ne comportait point de réponse.Pourtant, quelques instants après, à sa grande stupeur, une voix atteignit son oreille, un son frêle mais résistant, pygmée insoumis au géant tumulte :
-Peut-être.

(Typhon, de Joseph Conrad)

J’ai soif


L’enfant est né, après bien des alarmes.
Il est beau et repose sur le sein de sa mère.
L’enfant est né, après des cris et des larmes.
Il est maintenant une créature de la terre.

Mais son regard se porte déjà vers le ciel,
Ses bras se tendent vers l’immatériel,
Se referment dans le vide et le néant.
Il est une créature des cieux, pourtant.

Baptisé selon la coutume, avec de l’eau
Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit,
Dieu se love dans son cœur aussitôt
Feu ardent et rouge-sang dans le joyau.

Feu ardent et brûlant attiré par l’eau,
Il murmure maintenant et pour l’éternité,
Dans le cœur de cette âme embrasée
« J’ai soif , Moi le Seigneur, le Très-Haut » .

Descendu aux enfers, volontaire prisonnier
Au cœur de l’homme, un brûlant et divin secret.
Le Seigneur-Dieu, le Créateur, le Crucifié
« J’ai soif » murmure t-Il à l’enfant nouveau-né.

« J’ai soif ! » la Voix enfle et se perd
Dans une vie d’épreuves et de misère.
« J’ai soif ! » crient l’enfant et son Dieu-Trinitaire,
Ils sont à la fois, tous deux, l’eau et le désert.

« J’ai soif ! » parfois la Voix se tait, tout s’endort.
Le bruit du monde, la mollesse de nos corps
Assourdissent le doux murmure, le cri délirant
La voix du Père, et celle de l’enfant.

Occultée, la Voix du Tout-Puissant
Moquée, piétinée, écrasée, cette voix d’enfant
Et dans un silence d’outre-tombe
Quand tout est fini, mort, nuit sombre

Les martyrs, les saints, les pauvres, les malheureux !
De leur bouche pleine de cendre et qui ne s’ouvre plus
Naît un merveilleux sourire. Ils ne crient plus
Puisqu’ils ont appelé, et le Verbe est venu .
Le Calice suprême, La Coupe du salut,
S’est versée sur leurs lèvres, jusqu’à la lie
Ils ont bu.

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