dimanche 28 juin 2009

"La montagne morte de la vie" de Michel Bernanos


"La vérité n'est pas, en dernière analyse, comme on le croit communément, un idéal éthique. La vérité est le contact immédiat entre la matière vivante qui perçoit et la vie qui est perçue" (Wilhem Reich, cité par Dantec dans American Black Box)

"L'homme est toujours en gestation, en même temps que sur le déclin. S'approchant de sa mort, mais aussi en devenir."(...)Dans les sociétés des droits interminables, où le dû remplace le don, l'organisation est pensée comme si l'homme était stable tout au long de sa vie, et comme si ses virtualités cachées n'existaient pas.(...)Cette vision d'un homme immobile apparaît dans les domaines les plus divers : l'idée de suicide assisté, réclamant que l'individu encore valide puisse prévoir son suicide dans tel ou tel cas de maladie, sous-entend une psychologie close à un instant t de son histoire."(Delsol, "Qu'est-ce que l'homme")


Le soleil se levait sur le pays et Loth entrait à Soar, quand le Seigneur fit tomber du ciel sur Sodome et Gomorrhe une pluie de soufre et de feu. Dieu détruisit ces villes et toute la plaine, avec tous leurs habitants et toute la végétation. Or, la femme de Loth avait regardé en arrière, et elle était devenue une colonne de sel. Ce matin-là, Abraham se rendit à l'endroit où il s'était tenu en présence du Seigneur, et il porta son regard en direction de Sodome, de Gomorrhe et de toute la plaine : il vit monter de la terre une fumée semblable à celle d'une fournaise ! Lorsque Dieu a détruit les villes de cette plaine, il s'est souvenu d'Abraham ; et il a fait échapper Loth au cataclysme qui a détruit les villes où il habitait.
(Livre de la Genèse 19,15-29.)




La lecture est quelque chose de parfaitement étrange:il faut être prudent quand on ouvre un livre, il faut être un bon guerrier. Savoir se prendre des coups, savoir en recevoir, être blessé, se relever, trouver des failles dans l'adversaire, trouver une solution qui lui correspond à lui personnellement et pas à un autre. Chaque combat est différent. Chaque lecture est un nouveau combat. Apprendre à lire, c'est apprendre à se battre.

En effet,de même que l'auteur dont je vais parler écrit :
"Je vais faire un poème sur la guerre. Ce ne sera peut-être pas un vrai poème mais ce sera un vraie guerre."
De même, le lecteur pourrait écrire : "je vais lire un livre sur la mort. Ce ne sera peut-être pas un vrai livre sur la mort mais ce sera une vraie guerre que de le lire."

Dans le même temps, lire, s'informer (in -former : im-primer dans notre cerveau) est le seul moyen qui nous est donné de ne pas figer notre pensée, de rester dans le mouvement, de vivre tout simplement :
"Si l'acceptation est fatale aux gens normaux, elle est logique pour ceux qui restent muets aux questions qui pourraient les sauver."

J'ai lu "La montagne morte de la vie", petit roman de Michel Bernanos, fils de Georges Bernanos.

C'est un récit fantastique qui évoque cette pétrification de la pensée, du corps, de l'âme.Cette acceptation fatale.
Les deux héros du livre ne meurent pas exactement mais se "minéralisent" peu à peu et la conclusion est terrible : "Le seul souvenir qui me reste, depuis des siècles que je vis dans la pierre, est le doux contact des larmes sur un visage d'homme."
Une "mort" sans rédemption explique Asensio, une mort sans résurrection, une mort sans paradis ou enfer.Un mouvement arrêté.

Et je repense à nouveau aux textes de SK ("bistrot séries")*, le dernier en particulier ("Au hasard") où il écrit : "Le haut de la rue Montmartre, jusqu’aux grands boulevards, était bien tranquille. Étrangement tranquille."
On a ce sentiment aujourd'hui d'être dans une sorte d'instant immobile, un "temps suspendu" pour reprendre Verlaine. J'écrivais précédemment, être dans l'œil du cyclone : la tempête a tout détruit autour de nous, elle nous a tué, nous sommes morts mais nous ne le savons pas. Nous n'avons plus de questions, seulement des certitudes.Nous sommes devenus ces êtres minéraux de Michel Bernanos.Comme recouverts de cette boue de la tornade ou pétrifiés par le cataclysme du Vésuve,à Pompéi.Cette dernière image, celle du Vésuve en éruption, me vient du fait d'avoir visité, enfant, les ruines de cette cité antique et la vision des hommes pétrifiés à jamais dans les poses ou les postures (certains couchés, endormis, d'autres tentant de fuir) dans lesquelles la boue brûlante les a trouvées me hante encore aujourd'hui. Et j'ai la vision de Dantec aussi, "l'homme qui marche sur les cendres" sans être recouvert par ces dernières.


Et sans doute, oui, sûrement que seules des larmes d'une souffrance, des épreuves d'une vie d'homme, des larmes qui nous feraient ressentir quelque chose, qui nous feraient nous interroger, sans compréhension totale du mystère (donc sans certitude mortelle) des larmes qui signifient l'eau, la vie, sans doute que ces larmes feraient fondre la croute minérale qui recouvre le corps des deux hommes dans le livre et les statufie.
Impossible, pour Michel Bernanos; ces larmes demeurent un souvenir à jamais perdu.En aucun cas, elles ne sont cause de Salut. En aucun cas un esprit figé dans ses certitudes ne peut se remettre en mouvement, et lentement mais sûrement, accéder à la vérité, à la vie.
De même, pas de plongeon possible dans le gouffre en haut de la montagne morte, plongeon dans une eau qui purifierait les deux hommes ("A la prochaine rivière on prendra un bain et ça s'en ira. C'est pas autre chose que de la crasse!") : "Baignant au milieu d'un lac de sang, un œil bleu à la pupille noire d'une taille inimaginable nous fixait". Cet œil témoin d'une justice implacable -pas de miséricorde pour cette état de crasse qui nous enveloppe de plus en plus, pas de purification possible donc, de rédemption, pas de vie après la mort, l'homme vient de la terre et s'en retourne à elle, dans son corps et dans son âme!, pas de salut pour un esprit formaté!- s'oppose directement à la symbolique du baptême chrétien qui nous plonge dans le gouffre de la mort ET de la résurrection de l'âme et du corps. Seul un miracle peut re-déclencher le cycle des questions qui sauvent.
"Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée"(...)
"Ma fille, ta foi t'a sauvée."
(Évangile selon saint Marc)


* Dans les textes de SK, on trouve souvent la description d'une jeunesse désorientée, qui s'oublie de fêtes en fêtes, morts-vivants aux gestes de plus en plus lents et lourds, et maladroits.
"Je ne pus m'empêcher de penser que c'était là un monde plein de vie en mouvement vers la mort."

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