Je réponds au téléphone en cueillant mes framboises : il faut le faire tous les matins, en ce moment car elles peuvent mûrir en quelques heures. J'ai deux sortes de framboises : des framboises "classiques", rouge mat, qui proviennent des vieilles pousses déjà plantées quand nous sommes arrivés il y a vingt ans, et de nouvelles pousses que j'ai ajoutées. Celles-ci donnent des framboises rouge brillant, plus rondes, moins coniques que les anciennes. De vrais bonbons. Les classiques se répandent un peu partout devant la maison, entre les dalles. Je les préfère car elles demeurent, à mes yeux, des vrais fruits! Il y a enfin les framboises jaunes, qui tirent vers le orange quand elles arrivent à maturité : plus sucrées que leurs consoeurs rouges mais qui se délitent plus. Elles sont très bien pour les confitures.
Au téléphone, c'est une vieille tante, ma marraine, qui me raconte ses soucis de santé et ceux de mon oncle, mon parrain. Je rentre dans la maison pour l'écouter : les connexions sont excrécrables chez nous (nous sommes en zone blanche même si personne ne l'avoue) et je ne veux pas être interrompue (jusqu'à six ou sept fois pour un coup de fil basique) car ma vieille tante serait destabilisée. Elle arrive à un âge où , une fois lancée, il faut laisser se dérouler le fil, ici la conversation, avant qu'elle ne le perde justement. Le fil. Etrange vieillesse qui dégrade jusque dans ses fonctions les plus brillantes des personnes qui nous sont chères et que nous peinons à imaginer autrement qu'elles n'ont été! Ma tante était une personne remarquablement vive, intellectuellement, moralement : elle a élevé parfaitement six enfants et m'a offert mes premiers livres de lecture : des comtesse de Ségur, dans une belle édition. J'ai toute la collection, grâce à elle, je la conserve précieusement. Je crois que si je devais garder seulement quelques livres, ce serait ceux-ci que j'emporterai avec moi. Ils m'ont donné le goût de la lecture, il m'ont ouvert au monde de tous les possibles.
Derniers jours d'école avec olympiades sous le cagnard : tout le monde gagne un diplôme de participation, une médaille et un bon goûter. Je continue de ranger les costumes et décors du spectacle et remballe dans la voiture un parasol, son pied, des ventilateurs, des Kaplas, des Playmobils, des Legos, tout ce que j'ai apporté de chez moi pour passer ces jours de canicule dans la joie et la bonne humeur. Avec tous les enfants que j'ai eu, j'ai un stock de livres, de jeux, de jouets très fourni et, en attendant qu'il fasse le bonheur de futurs petits enfants, il sert à la petite école.
Mercredi: je file à Paris présider l'assemblée générale de mon association. En courant pour choper mon train de retour, je me froisse un muscle et claudique misérablement. Deux heures dans Paris sont le maximum que je puisse désormais supporter. Retour dans le soleil couchant, avec le soir et sa fraîcheur relative, les odeurs lourdes de la terre et du blé mûr...
Vendredi : panique à 7h 45. Grégoire, sur le point de partir à son grand oral du bac, descend pour se faire un sandwich, et cherche désespérément sa convocation de bac ainsi que sa carte de train. Beuglements et brassage d'air, le moteur tourne, le train n'attendra pas. Comme toujours, Grégoire réussit à transmettre ses nerfs à tout le monde et, lorsqu'enfin il part, je suis épuisée. Certains enfants nécessitent plus de soins que d'autres.
Sur un réseau de discussion entre jeunes femmes, mamans pour la plupart : toutes évoquent les dangers de crèmes contre les piqûres de moustiques, les allergies nombreuses et variées de certains produits.
Je finis par écrire :
"Quand je pense à mon enfance et ma jeunesse où l'on nous collait médocs, crèmes, tétines, plastiques et autres allègrement sans trop réfléchir aux potentiels dangers ou allergies...
Bon, très honnêtement on s'en est tous bien sortis^^^
Et pour mes grossesses, j'y suis allée franco sur la viande, les fruits du jardin, les poissons et le vin (sans abuser hein), je n'étais pas immunisée contre la toxo avec des chats à la maison et dehors. Bon, si cela se trouve j'étais immunisée mais pas assez selon les critères ou l'échelle médicale.
Mon père fumait la pipe ou d'énormes cigares en bagnole qui nous rendaient verdâtres... ma mère nous collait du sirop pour nous faire dormir pendant les voyages : en gros, elle nous droguait^^^^^
C'est dingue. Ça me fait rire maintenant."
Peut-être faut-il considérer certaines précautions écologiques ou hygiénistes comme excessives...
Je tombe sur cette jolie réflexion :
« Le jour où je vais disparaître, j'aurai été poli avec la vie car je l'aurai bien aimée et beaucoup respectée. Je n'ai jamais considéré comme chose négligeable l'odeur des lilas, le bruit du vent dans les feuilles, le bruit du ressac sur le sable lorsque la mer est calme, le clapotis. Tous ces moments que nous donne la nature, je les ai aimés, chéris, choyés. Je suis poli, voilà. Ils font partie de mes promenades et de mes étonnements heureux sans cesse renouvelés. Le passé c'est bien, mais l'exaltation du présent, c'est une façon de se tenir, un devoir.
Dans notre civilisation, on maltraite le présent, on est sans cesse tendu vers ce que l'on voudrait avoir, on ne s'émerveille plus de ce que l'on a. On se plaint de ce que l'on voudrait avoir. Drôle de mentalité! Se contenter, ce n'est pas péjoratif. Revenir au bonheur de ce que l'on a, c'est un savoir vivre. »
Olivier de Kersauson
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