vendredi 30 décembre 2022

Ma légitime défense

"Si votre monde est mort, c'est que vous n'avez pas su le maintenir en vie. Apprenez donc le bouche-à-bouche philosophique, et voyons ensuite s'il vous reste un filet de souffle." (Dantec, Le théâtre des opérations, 1999)







Il m'arrive de publier sur ce petit blog les textes des uns et des autres qui me paraissent pertinents ou simplement utiles pour ouvrir les yeux  (les siens d'abord et ceux des autres ensuite). Sur notre civilisation occidentale qui se laisse  volontairement mourir en maniant les armes d'un égalitarisme (racial, social, moral) ravageur, sur ma religion qui vogue sur cet air du temps, bref sur la Gabegie pour reprendre un terme et surtout une description détaillée de Lounès. Gabegie qui mine l'Humanité de l'intérieur (valeurs morales inversées ou effacées) et aussi à l'extérieur de nos demeures (démultiplications de violences, meurtres et développement vertigineux d'une impunité absolue  des criminels).

Il m'arrive aussi de lire des auteurs qui ont pointé d'un doigt lumineux cette Gabegie ou leurs conséquences ultimes ( je pense à Houellebecq et à un McCarthy) et souvent de trouver, en les lisant, que la couleuvre est difficile à avaler pour un estomac de crevette.. Je pourrais dire comme cette lectrice, qui écrivait en substance à Flannery O'Connor : "pourquoi écrivez-vous toutes ces méchancetés? L'américain moyen, lorsqu'il rentre chez lui fatigué, veut se reposer et lire de belles et gentilles choses".

Il y a quelques jours mes deux filles ont regardé le Vieux fusil avec Philippe Noiret, ce film terrible où Noiret qui campe un docteur, découvre en revenant dans son château familial le viol et le meurtre atroce de sa femme et de sa fille par une troupe allemande qui occupe les lieux. Il décide de faire justice et tue un à un tous les allemands de la compagnie. J'insistais sans succès auprès de mes filles pour qu'elles ne le regardent pas  car j'avais été moi-même très marquée par ce film. Mon mari, étonné, me dit que je l'avais sans doute vu trop jeune... En fait c'est l'inverse, j'ai regardé ce grand classique il y a quelques années seulement, déjà mère de famille nombreuse. Ma sensibilité maternelle, hypertrophiée d'une certaine façon, ne supporte plus certaines visions par trop noires (à tel point que j'ai demandé à mes filles de bien fermer les portes du salon pour que ne me parvienne pas la musique du film, glaçante, ou plutôt le son, le souffle du lance-flammes, horrible!).

Mais au delà du fait que pour une femme il y a sans doute incompatibilité entre sa nature même -j'y reviendrai- et une réalité vraiment difficile, violente, c'est en lisant l'excellent Allan Bloom que j'ai compris combien notre attitude désarçonnée, erratique, abasourdie face au délitement de ce monde était due au simple fait que notre intellect, notre esprit (et donc ce que nous sommes profondément) a été entièrement modifié et maintenu aujourd'hui dans l'incapacité d'affronter quoique ce soit en nous et hors de nous. Le livre de Bloom s'intitule L'âme désarmée et c'est exactement ce qui arrive à l'homme, trop désarmé aujourd'hui intellectuellement, moralement, spirituellement, psychologiquement et même physiquement pour affronter notre réalité, le monde.

Bloom décrit à quel point les jeunes d'aujourd'hui, vides de préjugés comme de croyances ou de connaissances, ne peuvent s'appuyer sur ces dernières pour avancer dans un chemin de vérités qui leurs permettaient et  leurs permettraient de se confronter à la réalité, au monde qui nous entoure pour le connaître autant que possible, le comprendre et le modifier à loisir. "Peut-être notre première tâche consiste-t-elle à ressusciter ces phénomènes, afin de disposer à nouveau d'un monde que nous puissions interroger et de nous mettre par là même en mesure de philosopher." conclut Bloom.
En effet,  l'homme a besoin  de donner un sens à la vie et il le trouvera dans la confrontation directe avec cette réalité à changer.  Il la trouvera dans le défi, dans le combat ou la volonté de modification permanente de la réalité. Son bonheur et sa joie seront dans cette confrontation. Un ami -le même qui m'a donné cette réflexion de O'Connor ci-dessus- m'expliquait que toute grande, ou plutôt, toute bonne littérature doit instiller le doute ou le trouble, une remise en question personnelle... une mauvaise littérature ne laissera que peu de place au doute et, ajoutait-il, ça n'est pas un hasard si beaucoup d'artistes ont été catholiques et qu'il n'y en a pas en terre d'Islam : doute interdit, seulement de la poésie, et pas de portrait en peinture..." Précisons que ce doute sera moteur pour toute foi digne de ce nom.

Au moment même où je lisais ces phrases de Bloom dans L'âme désarmée, un autre ami m'envoyait ce clip d'un rappeur blanc qui répète tout le long : "on s'en branle du futur quand on ne comprend pas le présent" Magnifique représentation de cette attitude atone des hommes d'aujourd'hui dans un monde dont ils ne maîtrisent plus les codes d'accès car on leur a dit que ces codes étaient des illusions dont ils devaient se défaire par tous les moyens. "Le roi est nu" et malheureusement il ne peut pas et ne doit pas se rhabiller sous prétexte de passer pour un ringard vêtu d'oripeaux de vieilles croyances mitées. Mais l'homme n'est pas fait pour être nu, nous le savons depuis l'aube des temps bibliques et il doit s'armer; s'armer au niveau de son esprit parce que c'est tout de même ce qui le caractérise dans son essence même. Reprenons donc nos armes, c'est à dire, comme je le disais précédemment :  "notre raison, notre réflexion, nos lectures, notre courage, lâchons -pour le moment seulement- nos vraies armes : elles ne sont pas encore utiles. Si elles le deviennent un jour, et bien, ce sera tant mieux d'une certaine façon, c'est que nous aurons gagné la plus importante de toutes les guerres, celle de la Vérité."

Ceci concerne de façon éminente l'homme en tant qu'être masculin. La position de la femme est un peu différente et j'aimerais la préciser dans ce que je perçois pour moi-même, je le précise bien :  pour une femme, une vision par trop sombre ou désespérante de la réalité, même si elle est malheureusement juste, va à l'opposé de cet instinct de vie qui la pousse en avant. Si nous nous arrêtions, nous les femmes, à cette Gabegie,  nous ne ferions plus rien et tout s'arrêterait d'une certaine façon pour l' Humanité. Aussi,  préférons-nous contourner l'obstacle, car nous sommes des coureuses de fond. Nous avons donc une attitude en apparence légère, nous lisons parfois des livres, des journaux truffés de détails pratiques et futiles qui retiennent notre attention, les idéaux nous accaparent moins, en apparence du moins. Le doute n'est pas un moteur pour nous mais un frein. Nous faisons celles qui nient la réalité ou pour le moins qui refusent de la regarder en face. Ça n'est pas exactement ce qui se passe dans les faits : nous préférons prendre un autre chemin, un chemin de traverse. Et c'est très bien ainsi. Nous cherchons et surtout devons protéger  la vie, donc une position de repli paraît la plus logique et nécessaire dans notre cas. A aucun prix la femme ne doit livrer bataille si ce n'est quand elle est directement acculée ou attaquée. Ça n'est pas dans son intérêt,  au sens strict de sa nature même, ni dans celui de la vie. La femme n'est pas un être fragile avec cette connotation un peu négative donné au terme, mais ce qu'elle protège est, lui, extrêmement précieux et fragile. Son objectif est donc de construire et de protéger au mieux le nid édifié pour que la vie s'y développe en toute sécurité : son identité féminine, son corps, (qui peut contenir la vie) sa demeure avec les siens, les "vivants", qui y habitent et qui y grandissent. Tenir sa maison, c'est tenir le monde, pour une femme. Et cela comporte tout ce qui fait l'intégrité féminine, tout ce qu'elle est. Voilà pourquoi j'insiste tant auprès de mes filles, par exemple, pour qu'elles ne fument pas, ne boivent pas de façon excessive etc... Des "détails" qui sont aujourd'hui considérés comme s'opposant directement à l'épanouissement féminin! Je maintiens qu'il est plus grave pour une femme de se livrer à des excès, que pour un homme.

Alors, évidemment, on comprend mieux "la joie du jour", ce petit blog: opposer à la Chienlit quelques menus descriptifs heureux d'un quotidien familial, d'une espérance spirituelle; quelques recettes simples -et en apparence vraiment anodines- d'un bonheur édifié jour après jour... Des photos de beaux paysages, de plats culinaires, de jeux de petits, des anecdotes enfantines, des extraits de belles lectures.

L'homme doit ressusciter les phénomènes selon l'heureuse expression de Bloom, la femme, pourrait-on ajouter, doit les maintenir en vie.

Lorsque ces intérêts vitaux sont directement menacés, lorsqu'il y a une remise en question absolue de l'Humanité par l'homme lui-même, il me paraît important de faire face au danger et de proposer, selon ce que l'on est, une ligne de défense. Les hommes proposeront par le biais de leurs génies artistiques divers et variés, par leur réflexion approfondie, leurs essais et leurs recherches intellectuelles ou scientifiques ou bien par leurs actions pragmatiques, leurs luttes, un compte rendu précis et minutieux de l'Ennemi à abattre, cet Ennemi sans nom et sans visage. Les femmes se garderont bien d'aller voir de trop près cet Ennemi et de le trouver séduisant et non pas dévastateur et dangereux -ce qu'il est en réalité- et continueront, pour les plus fortes d'entre elles, leur chemin de vie et sa protection.

La joie du jour, ce petit blog, cette vie qui est la mienne, est ma légitime défense.

9 commentaires:

  1. superbe la photo en noir et blanc!

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  2. C'est madame Crevette qui tient Gabrielle ?

    François

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    1. C'est la première fois que je vous vois sur votre blog. Difficile de s'imaginer que vous êtes la mère d'une fratrie à neuf têtes en vous voyant comme ça, si svelte. La photo est d'ailleurs très réussie, elle dégage une espèce de gravité qui illustre bien le propos de votre texte.

      François

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    2. C'est l'avantage du noir et blanc , on ne devine pas qu'elle dépasse le quintal .

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  3. Très juste . Je re-case ma citation de London , qui n'a jamais été aussi vraie : " Les Femmes sont les conservatrices de la race , les hommes en sont les enfants prodiges . " Elles sont le phare dans la tempête , un phare ne fait pas le tour du monde et ne découvre pas de continents . Il tient bon .

    Les Femmes doivent " tenir " . Leur liberté tient toute entière dans l'engagement , dans leur mission , dans leur rôle de Mères . Une fois le cap franchi , il s'agit de tenir , encore et encore , il n'y a plus de place pour la performance , plus de retour en arrière ou d'abandon possible . Tenir avec le sourire , en prime .

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  4. Je n'ai jamais pu revoir ce film non plus. Il m'a choquée la première fois.

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