"A propos du designer d'Apple, Jony Ive, une réflexion sur la démarche philosophique de l'entreprise :
"Jony Ive était un fan du designer allemand Dieter Rams, qui travaillait pour Braun. Le credo de Rams : "Le moins est le mieux" -Weniger, aber besser. Et Jobs et Ive s'attachaient toujours à simplifier leur projet. Depuis sa première brochure où il était écrit : "La simplicité est la sophistication suprême", Jobs avait toujours tenté d'extraire la simplicité par la maîtrise de la complexité -non en l'ignorant. "Cela demande beaucoup de travail de relever tous les défis et de trouver des solutions élégantes."
En Ive, Jobs trouva son âme soeur, dans sa quête d'une simplicité qui soit en profondeur, et pas seulement une illusion. Ive, dans son bureau, me décrivit ainsi cette philosophie :
Pourquoi disons-nous que la simplicité est une bonne chose? Parce qu'on se doit de dominer nos produits. Apporter de l'ordre dans la complexité, c'est une manière d'être plus fort que le produit. La simplicité n'est pas seulement un effet visuel. Il ne s'agit pas minimalisme ou d'une réduction de l'encombrement. Il s'agit d'aller jusqu'au coeur de la complexité. Pour trouver la vraie simplicité, il faut creuser profond. Par exemple, pour ne pas avoir de vis apparentes, on peut finir par avoir un produit totalement contourné et complexe. La solution, c'est de s'enfoncer jusqu'à l'essence même du produit avec , pour objectif, l'épure à tous les niveaux. Il faut repenser tout l'objet, ainsi que la façon dont on va le fabriquer. C'est par ce voyage jusqu'au centre du produit qu'on peut se débarrasser du superflu.C'était la philosophie commune du duo. Le design n'était pas qu'un travail de surface. Il devait refléter l'essence du produit. "Pour la plupart des gens, le design est synonyme d'habillage, expliquait Jobs dans Fortune, peu après avoir repris les rênes d'Apple. mais pour moi, rien n'est plus fondamental que le design. Il est l'âme d'un produit qui s'exprime du cœur jusqu'à l'enveloppe extérieure, couche par couche."
L'esthétique était donc intégrée au processus de conception et de fabrication. C'est ce qui s'était passé pour l'élaboration du Power Mac. "On voulait se débarrasser de tout ce qui n'était pas essentiel, raconte Ive. Pour y parvenir, il a fallu une collaboration étroite entre les designers, les développeurs, les ingénieurs et l'équipe de fabrication. On n'arrêtait pas de tout démonter pour repartir de zéro. Avait-on vraiment besoin de cette partie? Remplissait-elle de façon optimale sa fonction tant sur le plan du design que de l'électronique?"
Jobs et Ive jugeaient qu'il devait y avoir une osmose parfaite entre l'esthétique d'un produit, sa fonction et sa fabrication. Ils en firent la démonstration frappante lors d'un voyage en Europe. Les deux hommes furetaient dans le salon d'exposition d'un cuisiniste. Ive repéra un magnifique couteau; il le prit pour l'admirer, puis le reposa, d'un air chagrin. Jobs fit de même. "Il y avait une petite coulure de colle entre la lame et le manche", m'expliqua Ive. La ligne du couteau était somptueuse, mais tout était gâché par une finition bâclée. "Personne n'aime qu'on lui rappelle que son couteau préféré est assemblé avec de la vulgaire colle. Steve et moi, nous nous souciions de ce genre de détails qui ruinait la perfection d'un instrument, pervertissait son essence. Tous les deux nous voulions que nos produits soient purs et sans bavures d'aucune sorte."
Dans la plupart des sociétés, l'ingénierie imposait ses lois au design. Les constructeurs donnaient les spécifications techniques du produit, et les designers dessinaient des boîtes pour le mettre dedans. Pour Jobs, la démarche était inverse. Il avait, par exemple, validé le design du Macintosh avant même que la machine ne soit construite, et les ingénieurs avaient dû se débrouiller pour y loger leurs circuits."
"Steve Jobs" par Walter Isaacson
Steeve Jobs le génie qui réussi à convaincre les bourgeois que ça vaut le coup de payer 1000 euros de plus pour avoir une machine avec un design épuré et branché. Enfin finalement si ça fait plaisir à certains, mais pour ma part je crois bien que je reste irréductiblement beauf dans l'âme.
RépondreSupprimerBeauf et donc matérialiste, un ordinateur est une machine qui me rend un service, je vais donc prendre ce qu'il y a de moins cher pour obtenir ce dont j'ai besoin, le reste je laisse ça aux dandys.
Jobs considérait ses produits comme des œuvres d'art, ça résume un peu son état d'esprit, sa démarche.
SupprimerCertes, vous avez raison, tous nous choisissons des objets en vue des besoins que nous en avons et pas forcément pour leur esthétique mais Dieu merci il existe de temps à autre des personnalités hors normes qui font avancer le progrès dans toutes ses dimensions : le bien, le beau, le vrai.Et les machines de Jobs étaient vraiment novatrices, il a quand même inventé l'ordinateur d'une certaine façon.
D'autre part, quand on voit le nombre d'heures incroyable passé justement à obtenir une machine performante dans ce design épuré et pas un autre, il est évident que les machines de Jobs valaient largement leur prix faramineux.
Enfin, les marges de ses machines sont peut-être excessives mais il y a toujours des gens qui les achètent et surtout c'est bien ce qui permet à Apple d'investir dans de nouveaux projets...
Pour ma part, j'ai choisi la norme Windows de préférence à Apple, pour son prix plus abordable, son ouverture et ses immenses capacités de personnalisation.
RépondreSupprimerCependant, la démarche de Jobs est parfaitement légitime, et elle illustre à merveille la capacité de l'homme à se dépasser par le travail, à créer des outils parfaits, harmonieux pour l'oeil comme pour l'esprit, qui, à leur tour, ouvriront la voie à d'autres créations.
Je note qu'on accuse les amateurs d'Apple d'être des snobs et des bourgeois parce qu'ils se laissent séduire par la beauté d'appareils coûteux, mais que pareille condamnation n'est jamais portée contre les amateurs de belles voitures, machines beaucoup plus chères et plus futiles.
Les capacités qu'une BMW offre par rapport à une Twingo flattent des instincts beaucoup plus bas de l'âme humaine que celles d'un Macintosh par rapport à un PC. En gros, on achète une belle bagnole pour sauter des jolies filles, tandis qu'on achète un bel ordinateur pour construire des ponts et créer Google. Et pourtant, aimer les belles bagnoles passe pour un hobby de prolétaire, ce qui, deuxième bizarrerie, lui donne un cachet de respectabilité supplémentaire.
Tout cela est bien étrange.
Ajoutons que l'un des plus grands designers de l'histoire, Raymond Loewy, était français, mais qu'il a dû s'exiler aux Etats-Unis pour imprimer à son époque (et aux suivantes) la marque que l'on sait.
Merci Robert pour votre commentaire qui synthétise un peu ce que je cherchais à dévoiler avec cet extrait. La démarche Windows est effectivement différente de celle d'Apple, qui prônait des circuits fermés (on ne pouvait/peut pas ouvrir ou bidouiller un Mac). Les deux démarches ont leur légitimité et ont trouvé leur place dans le Marché.
SupprimerHS : je suis allée vous lire chez Skandal à propos du texte de Kaplan sur les racistes, (Les racistes ont déjà perdu") je venais de faire un commentaire sur facebook dans votre sens et Aristide m'a indiquée le lien où vous commentiez; j'étais bien aise de vous lire! Je redonne le lien pour les intéressés : http://newskandal.wordpress.com/2014/09/15/les-racistes-ont-deja-perdu/#comment-8714
Chère Crevette,
RépondreSupprimerMerci ! Je n'ai pas de compte Facebook...
Steve Jobs n'était pas toujours un homme très recommandable. Il était souvent odieux avec ses employés, et ne s'est pas bien comporté avec sa première fiancée. Mais tous les génies ne sont pas des gentils garçons. Et puis il avait des excuses : il fut un enfant abandonné. (Incidemment, son vrai père était syrien.)
Il a en tous cas transposé dans l'informatique et l'industrie contemporaine l'amour du travail bien fait caractéristique de l'artisanat d'antan, où la fonctionnalité rejoignait la beauté parce que c'était la même chose. Il a, aussi, toujours essayé de faire mieux.
J'ai habité un immeuble ancien qui, comme d'autres en ville, avait un plan sans angles droits, car telle était la forme du terrain. Les pièces étaient recouvertes de parquet. Dans l'une d'elles, il y avait une lame qui, pour respecter à la fois la forme de la chambre et le dessin du plancher, avait été taillée dans un angle très aigü, jusqu'à se terminer en pointe.
On imagine l'artisan de l'époque prenant mille précautions pour scier la pièce de bois sans qu'elle se casse à son extrémité, puis pour assembler le tout. Cette lame a subi un siècle de locataires sans que sa pointe se soit jamais émoussée ou fendue. Elle n'a pas bougé lorsque j'ai poncé le plancher (à la main, ou plutôt au pied). De nos jours, n'importe quel menuisier tricherait sur le plan pour ne pas avoir à façonner une pièce aussi scabreuse.
C'est à ce plancher que me fait penser Apple.
Au-delà du snobisme effectivement agaçant qui peut s'attacher à l'Applemania (sans compter les prix exorbitants et le côté vaguement dictatorial de sa technologie : faites comme ça et pas autrement), Steve Jobs a laissé quelque chose derrière lui.
Malheureusement, contrairement à mon plancher, rien de tout cela ne subsistera dans cent ans.
Oui Robert, en ce qui concerne l'histoire de votre plancher, je m'apprêtais à mettre d'autres extraits de la biographie de Steve Jobs que j'ai lue avec fascination (me disant que les étudiants de première année en école de commerce ou ingénieurs devraient la lire et l'apprendre par cœur!), à propos du carrelage de ses Apple Store et à propos de l'habillage étonnant de l'Ipad (ou l'Iphone, je ne sais plus, je vais retrouver).
RépondreSupprimer