J'ai deux petits jumeaux de 11 ans, Basile et Grégoire. Ce sont de vrais jumeaux aux tempéraments bien différents qui s'entendent fort bien et qui sont de très bons garçons. Ces derniers temps, j'ai pris l'habitude de leur lire tous les soirs un chapitre d'un livre de mon choix parce qu'ils souffrent de difficultés "orthophoniques" qui les empêchent tous deux d'apprécier la lecture comme moi-même ou mon mari l'avons appréciée au même âge.
J'ai commencé cette nouvelle activité du soir par une série peu connue mais que j'ai moi-même adorée plus jeune, celle de Francis Finn : Tom Playfair et Percy Winn, le deuxième tome. J'ai rarement lu livres pour enfant plus drôles, fins, édifiants et bien écrits. L'histoire de quelques collégiens dans un pensionnat catholique au 19ème siècle, en Amérique. Les brimades inévitables, les collégiens au grand cœur, les parties de sport (base-ball, rugby), les parties de chasse, de pêche (à l'époque les enfants n'étaient pas protégés comme les nôtres aujourd'hui et apprenaient moult choses passionnantes), la vie spirituelle, les difficultés scolaires, les épreuves morales, physiques, la maladie, la mort, etc... Tout est décrit dans un style enlevé, souvent à mourir de rire et toujours émouvant.
Mes deux jumeaux me quémandent la suite avec impatience tous les soirs et j'arrive malheureusement au bout de ces deux joyaux.
Je vous en livre un passage, qui n'est pas forcément le plus amusant mais qui a frappé mes enfants.
Un point sur le contexte : un jeune collégien, mauvais garçon, s'est enfui du collège en ayant volé de l'argent à un de ses camarades. Il souhaite se réfugier dans des meules de foin pour la nuit car c'est l'hiver dans la prairie et il gèle. Il tombe sur deux "vrais" voleurs qui le ficellent et le bâillonnent et le laissent à terre dans le froid pour la nuit. L'enfant se remémore dans cet instant fatal toute sa mauvaise vie...
"Des gouttes de sueur, sueur de l'agonie, gelaient sur son visage, tandis que ses péchés, les uns après les autres, revenaient à sa mémoire dans toute leur horrible nudité. A mesure que cette hideuse procession passait sans déguisement devant son esprit, il se laissait submerger par le désespoir. Trop tard maintenant! étouffés tous ses espoirs! l'enfer le réclamait. Dans son cœur, il fut sur le point de se maudire, de maudire Dieu, quand soudain, un souvenir apaisant envahit son âme.
N'était-ce pas hier seulement que le Père Middleton, au catéchisme, avait parlé avec tant de douceur et d'insistance de l'infinie miséricorde de Dieu!
La scène entière revint à la mémoire du pauvre enfant avec une vivacité qui le surprit lui-même.
Le Père avait tout d'abord dit quelques mots sur la nécessité de la contrition, puis il avait posé des questions aux élèves afin de s'assurer qu'ils avaient bien compris sa pensée.
"Harry Quip, commença-t-il, répondez-moi. Supposez, mon ami, que vous êtes un grand pêcheur : depuis que vous avez l'âge de raison, vous avez commis péché mortel sur péché mortel. Toutes vos fautes souillent encore votre âme... toutes vos confessions ont été mauvaises, et vous apprenez subitement que vous allez mourir, ici même, dans cette classe. Faut-il désespérer?
---- Non, Père, répondit Harry. Je demanderais à notre Mère Bénie de m'obtenir la grâce de faire un bon acte de contrition, et je me confesserais, m'abandonnant dans les bras de la miséricorde de Dieu.
---- Mais voici, Carmody, continua le professeur, vous n'avez jamais fait une seule bonne action, et d'un autre côté, vous avez sur la conscience tous les péchés que tous les enfants du monde ont commis. Que feriez-vous dans ce cas, si l'on vous disait qu'il faut mourir tout de suite?
---- Je me confierais dans les mérites infinis du Précieux Sang.
---- Jo¨Whyte, voici un cas plus grave : votre conscience est salie de tous les péchés dont j'ai parlé, et vous êtes seul, sans compagnons, livré à vos faibles forces, au milieu de l'océan; aucun prêtre près de vous pour vous absoudre, aucun ami pour prier pour vous.
Jo¨répondit avec une élévation suggérée sans le vouloir par les paroles mêmes de son professeur :
---- J'essaierais avec la grâce de Dieu de faire un acte de contrition parfaite : alors, je m'enfoncerais dans les vagues comme dans les bras de Dieu, Dieu est partout!
---- Voilà une belle réponse. Mais Reynolds, supposez que Dieu, en punition de tous vos péchés, vous afflige d'une hideuse maladie. Supposez alors que tous vos amis s'éloignent de vous avec horreur, que vos relations vous rejettent parmi les bêtes; supposez que vous êtes mourant de dénuement et de faim, et au moment de votre mort, vous demandez un prêtre pour entendre votre confession, mais celui-ci, épouvanté par votre état repoussant, s'enfuit au loin, criant que Dieu vous a déjà damné! Seriez-vous désespéré?
---- Non, répondit Reynolds, avec la grâce de Dieu, même dans ce cas je ne désespérerais pas.
---- Le cas est encore plus embarrassant, Daly. Pendant que, objet d'horreur, vous êtes mourant, délaissé par ce prêtre indigne, une foule de démons se précipite sur vous, hurlant que votre âme est à eux, et qu'ils viennent l'emporter. Vous livreriez-vous au désespoir?
L'enfant hésitait.
---- Je... je ne pense pas, répondit-il enfin.
---- Très bien. Mais le cas peut-être pire encore, Playfair... En résistant à cette foule de démons vous appelez à votre aide les anges de Dieu et ses saints, et ils répondent tous, d'une seule voix, qu'il est trop tard. Que faire alors?
---- Je ne les croirais pas, Père! répondit Tom : la parole de Dieu est plus pour moi que la parole des anges et des saints.
---- Mais supposez, Summers, que la Sainte Vierge elle-même vous assure qu'il est trop tard.
---- Alors..., alors, Père, j'abandonne tout.
---- Vous désespéreriez? pourquoi?
---- Parce que Marie est trop bonne Mère pour nous tromper.
---- Pas mal! mais ne pourrait-on donner une réponse différente?
Il y eu une longue pause.
---- Je ne crois pas que la Sainte Vierge puisse dire une telle chose, Père Middleton., dit Tom. Vous nous avez dit souvent qu'elle est la meilleure sauvegarde des pécheurs : elle serait la dernière des créatures à les abandonner.
---- Allons jusqu'aux extrêmes : supposons un instant, ce cas impossible, Tom. Seriez-vous désespéré?
---- Non, Père!
---- Pourquoi?
Tom ne répondait pas.
---- Pensez-vous que notre bonne Mère nous tromperait?
Tom gardait toujours le silence.
---- Seriez-vous désespéré, Percy Wynn, si Marie elle-même venait vous dire qu'il est trop tard?
---- Non, Père, elle voudrait seulement dire qu'il est trop tard si je néglige de faire un acte de contrition parfaite, car nous savons par la sainte parole de Dieu qu'aussi longtemps que nous vivons, il ne faut pas désespérer, et Il a promis la vie éternelle et la sainte grâce à tous ceux qui espèrent en Lui, et l'aiment.
---- Mes enfants, vos réponses sont belles, car elles sont vraies. Laissez-moi ajouter deux citations de ce grand écrivain catholique, le Père Faber. "Au jour du jugement, dit-il, j'aime mieux être jugé par Dieu que par ma mère".
A un autre endroit, il dit en parlant des pécheurs moribonds : " Dieu est infiniment miséricordieux pour chaque âme... Quant à ceux qui seront perdus, je crois fermement que notre Père céleste les avait regardés avec des yeux d'amour, dans l'obscurité de leur vie, et que c'est de leur volonté délibérée qu'ils n'ont pas voulu de Lui. Telle est, mes enfants, l'infinie miséricorde et l'infinie tendresse de Dieu."
(...)
Alors revint au pauvre enfant, dont les pieds et les mains étaient engourdis par le froid, la conversation qu'il avait eu un jour avec Percy Wynn. Y avait-il réellement un ange à côté de lui, son ange gardien, à lui? Un grand flot d'amour divin inonda l'âme de l'enfant, et pour la première fois, il parla à Dieu avec des accents de véritable contrition. Et tandis qu'il avouait son repentir et son amour, et remerciait Dieu qui le conduisait à la vérité par une voie si rude, il perdit connaissance."
Ce sont de beaux livres, en plus. Mais pourquoi ces difficultés "orthophoniques" ? Méthode semi-globale ? Quand j'étais enfant, l'orthophonie n'existait même pas, ou alors de façon si marginale que personne n'en parlait. Aujourd'hui, il faut carrément des médecins pour réparer les dégâts de l'école ! Enfin, c'est l'impression que ça donne.
RépondreSupprimerCher Robert, j'hésite à me lancer dans un commentaire explicatif qui serait fort long et confus...
RépondreSupprimerDisons qu'auparavant (à mon époque par exemple), les difficultés orthophoniques des enfants existaient. Elles ont toujours existé pour certains mais on ne savait pas les diagnostiquer et elles étaient bien contrebalancées par deux facteurs : la méthode d'apprentissage de la lecture (syllabique) et par la part belle laissée à la mémorisation par rapport au raisonnement. Je m'explique sur ce deuxième point : aujourd'hui, en mathématiques par exemple, on vous décortique toutes les opérations, la soustraction en particulier ainsi que la division, avant même de vous apprendre à les poser. Vous aller me dire, c'est bien, c'est normal, etc. Oui mais non. Personnellement j'étais une nullité en raisonnement logique mais je savais parfaitement très vite et très tôt poser mes quatre opérations. Même chose en français ou autres matières : il ne suffit plus (en primaire) de savoir ses leçons, il faut savoir résoudre des problèmes posés avec des consignes. Il y a deux pièges en quelque sorte : la leçon en elle-même et la façon dont on va l'appliquer. Auparavant, il suffisait de savoir sa grammaire, sa conjugaison, sa géographie et le tour était joué. Maintenant, on vous demande par exemple de décrire un paysage ou de raconter une histoire au temps de Louis XIV et cela est beaucoup plus compliqué. Plus intéressant certainement, mais plus difficile pour des élèves pour qui l'abstraction met du temps à mûrir dans le cerveau. D'autant plus s'ils ont de vrais problèmes d'orthophonie.
Un troisième point qui concerne strictement l'orthophonie : je dirais que c'est une "science" très récente et que la plupart des orthophonistes ne savent pas vraiment de quoi souffrent leurs élèves. Personnellement je fais appel depuis un an à une orthophoniste qui s'est spécialisée en neurologie et qui applique une méthode tout à fait particulière pour faire progresser les enfants. Elle a réussi à débloquer certaines choses chez mes jumeaux en six mois alors que cela faisait cinq ans qu'ils faisaient de l'orthophonie classique. Si l'orthophonie n'existait pas à mon époque ou la vôtre, c'est tout simplement un, qu'on en n'avait pas spécialement besoin pour l'apprentissage scolaire, deux, qu'on ne savait pas détecter les problèmes de langage ou autres qui touchaient les enfants.
Chère Crevette, merci pour ces explications.
RépondreSupprimerQue répare l'orthophonie ? Des difficultés de lecture, d'écriture ? Je suppose que ce ne sont pas des difficultés de la parole, comme le mot semblerait l'indiquer.
L'orthophonie répare toutes sortes de choses, je serais bien incapable de vous détailler lesquelles. Mais avec mon expérience limitée : les difficultés de langage font partie des prises en charge de l'orthophonie, et ces difficultés de langages se traduisent souvent par des difficultés de parole (exemple : apprentissage limité de vocabulaire à partir de la petite enfance, c'est ainsi que mes jumeaux parlaient peu ou très mal en maternelle, à l'inverse d'autres enfants); ces difficultés se répercutent évidemment ensuite sur l'écriture (difficultés de rédaction, d'orthographe aussi, beaucoup et parfois même l'écriture en tant que telle est touchée aussi : un de mes jumeaux n'arrive pas à "attacher" ses lettres par exemple) et sur la lecture et la compréhension de texte : mes jumeaux lisent très bien mais ont du mal à lier le mot en tant que tel et son sens. Du coup tout s'enchaîne : lire une consigne d'exercice devient un problème en soi, lire une histoire est compliqué parce qu'on ne comprend pas tout etc, etc. D'où le temps que je passe pour lire avec eux (avec moult explications, gestes, dessins parfois).
SupprimerBon ça n'empêche pas de faire de bonnes études et de bien vivre, mais il faut que l'enfant trouve des chemins de traverse pour avancer et l'appui d'une bonne orthophoniste (très rare) peut s'avérer décisif surtout lorsque le cerveau est encore malléable.
J'ai moi-même lu et relu ces livres extraordinaires que nous conservons dans la famille tel un précieux joyau.
RépondreSupprimerJe souscris en tout point à votre description !
Et après ? Qu'est-ce qui arrive au petit fugueur après ?
RépondreSupprimerHé bien il est retrouvé dans sa plaine par le père Middleton qui le fait soigner et qui s'entretient longuement avec lui ( le prêtre se rend compte que l'enfant a changé intérieurement durant cette épreuve) et finalement l'enfant ne retourne pas au collège mais il continue d'entretenir des relations amicales avec ses anciens camarades et les prêtres de l'internat et s'amende complètement en devenant un bon gars.
SupprimerMerci !
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