mercredi 6 octobre 2010

Menaces intellectuelles et pragmatisme

[A la suite d'écoutes placées chez Robert Kennedy (frère de John Kennedy), où ce dernier évoque la pensée d'Albert Camus, le Président Johnson convoque le chef du FBI, Edgar Hoover] : 

"- Dites-moi Edgar, dans les transcriptions il y en a une qui m'intrigue. Qui est cet Albert Camus? Il serait pas devenu pédé le petit fils de pute? Bon Dieu, Edgar, vous allez bientôt pouvoir vous mettre en ménage à quatre!
Et là-dessus il se mit à rire à gorge déployée avant de raccrocher.
Edgar ne s'offusqua pas de sa boutade. Il fit une grimace qui exprimait son dégoût pour l'être vulgaire qui dormait à la Maison Blanche, puis un haussement d'épaule pour s'en détacher. Il avait passé l'âge de relever de telles insinuations. Il voulait tout de même savoir qui était ce Camus et me mandata pour une recherche approfondie sur cet homme dont nous ne savions rien. L'homme en lui-même m'intéressa moins dès le moment où j'ai appris qu'il était mort accidentellement en France huit ans plus tôt. Mais je tenais absolument à en savoir plus sur son idéologie.(...) De longues semaines m'ont été nécessaires pour identifier un universitaire spécialiste de ce Camus. Je ne me souviens plus de son nom, ni de celui de l'université où il enseignait le français, sinon qu'elle était dans l'Oregon. Enseigner la littérature française dans l'Oregon, ce type avait dû se perdre.(...) Nous n'avions pas prévenu directement l'universitaire. La police locale, plutôt coopérative, nous avait assuré qu'il était dans son repaire et l'avait averti, sans lui dévoiler la teneur de notre démarche, d'une visite imminente du numéro deux du FBI. Pendant le trajet, je me délectais de la tête qu'avait dû faire ce tranquille professeur d'un des États les moins peuplés de l'Union, à l'annonce de la venue impromptue de l'homme le plus puissant des États-Unis derrière J. Edgar Hoover.(...) Comme nous n'étions plus très loin, je me suis précipité sur l'enquête de personnalité faite à ma demande pour prendre la mesure du personnage.(...) Avait été cité pour des actes héroïques pendant la guerre contre les Japonais.
- Un type courageux, avait commenté mon chauffeur alors que je lisais à haute voix ses faits d'armes.
- Qu'est-ce que vous savez du courage? lui ai-je lancé pour lui couper le sifflet. Le courage ne demande que de l'inconscience. Alors que la lâcheté, elle, demande de l'intelligence, et moi je ne respecte que l'intelligence."

(...)

[l'entretien avec universitaire commence : ]

-C'est une démarche plutôt inhabituelle que la mienne, mais parfaitement en adéquation avec nos missions. Je suis là pour recevoir d'un spécialiste un éclairage sur un homme. Recueillir un avis d'expert sur une pensée qui est dans notre collimateur pour des raisons que je ne peux pas divulguer mais qui ont un rapport avec la sécurité du pays.

(...)

[après l'exposition de la pensée de Camus par l'universitaire] :

"- Que diriez-vous d'un homme politique qui s'inspirerait de la philosophie de ce Camus?
- (...)  De toute façon, notre histoire à nous, êtres humains, est celle de longues et pathétiques trahisons des idées philosophiques. La longue-vue de commandant de cap-hornier scrutant l'horizon libre au regard finit toujours en lunettes de myopes, en loupe de philatélistes. Regardez ce que Saint-Just et Robespierre ont fait de Rousseau, Marx puis Lénine et enfin Staline de Hegel, les nazis de Nietzsche, et vous comprendrez qu'on ne peut pas souhaiter à Camus le même sort.
- Et moi, je pense que celui qui s'en inspirerait serait un sacré fils de pute d'anarchiste qui foutrait ce pays par terre et le monde avec. Voilà ce que je pense. Mais heureusement pour nous, personne ne se réclame de ce Camus. Je ne suis pas expert en histoire, mais il me semble que les Français sont assez forts pour produire en nombre ce genre d'intellectuels inconséquents. Je ne serai pas surpris que ça leur pète à la gueule un de ces jours."

(...)

[conclusion du N° 2 du FBI après sa visite à l'universitaire]

"- Les choses changent, mon vieux, il y a encore quelques années, un type comme celui que j'ai rencontré cet après-midi, j'aurais ruiné sa vie. Et là, j'ai décidé de lui faire grâce, de l'oublier dans sa cabane de trappeur, de laisser ce fils de pute s'asphyxier tout seul avec les effluves de sa pensée saumâtre. Je n'ai plus l'âge, voilà tout.
- Je peux m'en occuper si vous voulez, patron, m'a t-il répondu avec l'expression volontaire des agents quadragénaires.
J'ai décliné d'un geste de la main."

Extraits de "La malédiction d'Edgar" de Marc Dugain

2 commentaires:

  1. J'adore ce genre de "petites" histoires!

    Ca m'en rappelle une autre: un jour,dans un Coctail à Hollywwod, Kirl Douglas aperçoit John Wayne qui lui fait maniféstement la gueule. Il l'attrape, lui demande ce qu'il lui reproche, et Joh Wayne de répondre: "C'est qui ce putain de Van Gogh que tu as joué... C'est un pédé, ce type! Nous les acteurs, nous avons une responsabilité, nous devons incarner des héros positifs, pas des pédés!"

    Si tu as besoin de cancans, tu me demandes, hein!

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  2. Oui, c'est un fait XP, on aime bien la Grande Histoire par la petite porte...^^

    En fait les deux protagonistes m'amusent : le N°2 du FBI qui vient sauver le monde en se méfiant des idéologies saugrenues et franchouilles et l'universitaire qui reste ferme sur ses positions : je connais les deux formes (l'homme d'action et l'homme de pensée), ça me rappelle quelque chose... Mon couple!!^^ La tête brûlée que je suis et la tête pensante que serait plutôt mon mari.

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