samedi 7 novembre 2009

Ma carte du monde

"C'est là qu'elle affirme la chose qui lui importe le plus, le noyau de toutes ses certitudes romanesques et religieuses ; l'œuvre romanesque s'adresse à tous ceux qui cherchent à approfondir leur sens du mystère au contact de la réalité, et leur sens de la réalité au contact du mystère." (Geneviève Brisac, "Loin du Paradis, Flannery O'Connor)


J'ai lu quelques textes vraiment merveilleux, vraiment intéressants et je m'en vais vous en donner quelques extraits.
Ces écrits constituent ce que j'appelle ma "carte du monde", mon œil et mon doigt suivent des chemins compliqués mais je veux arriver au bout de ma Route qui est encore longue et donc, patiemment, lentement, je dessine au crayon ma carte, je gomme parfois, je reprends le chemin en sens inverse, je m'agenouille souvent pour observer des traces laissées par des conquérants passés avant moi, je me penche jusqu'au sol pour écouter les sons de ma terre, au milieux du vacarme assourdissant qui m'entoure, je me redresse et je continue ma marche.
Ces textes ne semblent pas avoir de liens entre eux : cependant, l'un sera une colline, l'autre une plaine, un troisième une montagne, le quatrième un Croisement. "Ces mots ne sont pas de ce monde, ils sont un monde, pour soi, justement un monde complet et total comme le monde des sons."

http://festivhank.blogspot.com/2009/11/ami-entends-tu.html
Hank : "Je confesse avoir eu les plus grandes difficultés à réaliser que la tradition qui précède mon être est une forme mouvante. Je confesse, tout d'abord, avoir eu les plus grandes difficultés à envisager la notion de tradition. Mais c'est aujourd'hui un chemin dont l'atmosphère ne m'est plus étrangère. Une grande part de cette tradition s'hérite, indubitablement, mais une autre, aux marges, se construit. Le sang s'hérite, la vertu s'acquiert (Cervantès). Notre legs revêt maints aspects, et tous, bien sûr, ne me sont pas connus. Très peu seulement. Et je ne peux en décrire aucun avec satisfaction. Le voudrais-je seulement qu'ils m'échapperaient : aucun ne peut être circonscrit. Je dois me contenter d'approcher, d'observer, de réfléchir, de comparer, de jouer sur les différentes cordes de ce sens qui fait ma joie et mon tourment. À peine l'ai-je saisi qu'il me fuit. Et toute ma quête en tant que jeune fils d'Europe sera de le poursuivre inlassablement, et de transmettre à mes descendants ce goût pour la course, pour la chasse, pour la traque."

Dantec : http://www.mauricedantec.com/article/article.php/article/l-etincelle-et-les-extincteurs
"Nelly Arcan, comme tout authentique écrivain, n'était pas qu'une seule personne, elle était non seulement plusieurs mais elle était à la fois TOUTE personne possible et PERSONNE.
(...)

La Vérité nous rendra libre, nous apprennent les Saintes Écritures, c'est pour cette raison que la Vérité ne l'est pas. Elle est non seulement le point nodal de toutes les contraintes du Monde Créé, mais elle est aussi la lumière qui se transfigure et s'incarne, jusqu'à l'état de dénuement le plus extrême.
La Vérité gît au fond d'une cellule, ou saigne suppliciée sur une croix, si elle illumine c'est parce qu'elle prend sur elle toutes les ténèbres du monde. Si elle peut nous offrir la liberté c'est grâce au sacrifice qu'elle a consenti de la sienne propre.
La littérature est un lointain reflet de cette étincelle paradoxale ; écrire ne consiste pas à exprimer quelque chose venant de soi, mais à imprimer sur ce soi tout ce que le Cosmos est en mesure d'offrir et d'inventer à chaque instant.
L'écrivain n'est pas un haut-parleur, sauf celui qui aboie avec ses maîtres, l'écrivain est une machine d'enregistrement, de décodage, une machine « en-statique » qui aspire l'univers vers elle, telle une « boîte noire », plutôt que de diriger son esprit vers les extases fusionnelles avec l'extérieur.
(...)

...Nelly Arcan laisse échapper quelques mots cruciaux qui démontrent qu'elle a déjà compris que toute poésie, et par extension toute littérature, se doit d'être impersonnelle, comme le savait Georg Trakl :
Quand j'écris, je suis dans un état de grande neutralité. Je ne suis pas affectée par ce que j'écris. Je suis facilement affectée par la vie, les choses qui m'arrivent, mais dans l'écriture, il y a une grande distance qui s'installe. Je travaille énormément le rythme, les phrases, pour que le tout soit fluide. Je veux d'abord servir le sens du texte, et non pas une vérité qui serait personnelle."



Chez le Stalker : Les incarnations du Père dans Le Désespéré de Léon Bloy par Nicolas Massoulier

"De même que son père meurt sans le reconnaître, qui sait – nous y reviendrons – si Caïn ne s’éteindra pas dans la parfaite solitude ? À l’échelle du roman tout entier, les significations implicites du paratexte se dévoilent. Dans cette société déchristianisée, qui sait si ce n’est pas Dieu le Père lui-même, archétype de toute paternité, qui se trouve désigné par cet office des morts ? Pourquoi ne pas penser que ce serait là une manière discrète de souligner la visée de l’œuvre qui serait alors ce lamento sur la disparition proche du christianisme «qui agonise dans sa gloire percée» (III, 179) ?
À mesure que s’effacent les signes du divin, on voit agoniser cette société qui expire, privée de fondements spirituels, tandis que l’esprit humain contemple le «cadavre même de la Civilisation» (III, 49). Le père, c’est Dieu et c’est aussi l’incarnation de la loi. Il est donc particulièrement important que ce faisceau de significations se trouve placé sous l’évocation d’un office des morts qui, dès la première ligne du roman, évoque l’agonie de Marchenoir père.
(...)
Il y a là plus qu’une simple sacralisation de l’image du père, c’est le mystère de la divinité qui se laisse entrevoir.
(...)
Il est important de souligner que Marchenoir père n’a pas de prénom, ce qui, dans une lecture symbolique de la figure, peut marquer comme un rappel du Dieu de l’Ancien Testament, tel qu’il apparaît dans le récit du buisson ardent : «Dieu dit à Moïse : Je suis celui qui est»
(...)
Il n’existe que par sa paternité à l’égard de Marchenoir, on ne s’étonnera donc pas de trouver, chez ce dernier, différents indices qui le représentent comme une figure du Christ... Le texte, en effet, nous dit explicitement que Jésus se profile derrière Caïn Marchenoir.
(...)
Ce qui se raconte à travers l’échec terrestre de ces deux figures, c’est donc bien l’échec terrestre du christianisme aussi bien que l’impuissance du Père céleste. «Tout ce qu’il avait entrepris pour la gloire de la vérité ou le réconfort de ses frères avait tourné à sa confusion et à son malheur» (III, 73). L’un des premiers livres de Caïn à beau s’appeler Les Impuissants, cette impuissance est d’abord la sienne. Ce Marchenoir qui n’a pas su être un «thaumaturge» (III, 75) pour son fils André est une figure de la stérilité, comme son père. À travers ces figures se dévoile l’impuissance de Dieu.
(...)
Bloy a souvent répété cette parole de son ami Ernest Hello : «Si le déshonneur avait une essence, quelle serait l’essence du déshonneur ? Ce serait, si je ne me trompe, PROMETTRE ET NE PAS TENIR» (10). L’idée que Dieu puisse manquer à sa parole est la source de cette angoisse qui se fait jour dans Le Désespéré et qu’on retrouvera exprimée par Bloy lui-même dans Le Mendiant Ingrat (11). Sans doute, ce n’est pas l’existence de Dieu même qui est ouvertement mise en question. Mais le silence divin permet à l’inquiétude spirituelle de se donner libre cours. À l’abandon de la présence se joint ainsi l’idée d’un abandon moral du Père. Entre l’idée d’une Histoire, qui n’est que le dévoilement de Dieu, et la réalité d’un monde, d’où celui-ci semble absent, le hiatus est tel que Marchenoir en arrive à devoir, en quelque sorte, justifier Dieu : «Il se persuada qu’on avait affaire à un Seigneur Dieu volontairement eunuque, infécond par décret, lié, cloué, expirant dans l’inscrutable réalité de son essence, comme il l’avait été symboliquement dans l’aventure de son hypostase» (III, 58-59).
(...)
Il n’est pas exagéré de dire que Marchenoir porte le deuil de Dieu, le deuil de la présence de Dieu.
(...)
Le vide creusé par l’absence de Dieu n’en reste pas moins une épine plantée dans la chair de Marchenoir. C’est le problème même de l’existence du mal qui se pose à travers le silence de la divinité. Désireux de se conformer au désir du Père, malgré ses tentatives de le justifier, Marchenoir, ce «Fils obéissant de l'Église» (III, 148), reste néanmoins «en communion d'impatience avec tous les révoltés, tous les déçus, tous les inexaucés, tous les damnés de ce monde»
(...)
Cette complexité de Marchenoir explique celle de la figure du Père. Car du premier au dernier chapitre, la question du père se révèle comme l’énigme que toute la quête de Marchenoir vise à résoudre, Quête mystique, existentielle et artistique – le livre qu’écrit Caïn n’est autre chose qu’une tentative de comprendre Dieu – qui donne au Désespéré sa trame parabolique. Le désir de «lapider le ciel» (III, 148), la fraternisation avec l’impatience des révoltés, c’est bien là l’expression de ce «blasphème par amour» qui est la «prière de l’abandonné» (III, 226). La révolte a pour but de mettre le Père en face ses responsabilités, de le forcer, par amour pour Lui, à réagir.
(...)
Si, par ailleurs, le songe de Jean-Paul est évoqué dans Le Désespéré (III, 189), c’est bien que la peur de la mort de Dieu hante le roman, sans que cette mort soit jamais complètement annoncée ou prise à son compte par Marchenoir. Ce qui annoncé et dénoncé, c’est la mort d’une société d’où Dieu s’est retiré, c’est le spectacle du «cadavre même de la Civilisation !» (III, 49). Car le monde moderne est un lieu de mort.
(...)
Dans ce monde où le christianisme «agonise dans sa gloire percée» (III, 179), ce monde en liquéfaction, le Fils est monstrueusement dégradé. Voici venu le temps de «la saliveuse caducité» (III, 183) de la religion chrétienne : autant de mots qui sonnent comme une liquidation. C’est bien le «monde excrément» dont parle Pierre Glaudes. Dieu n’est plus qu’une boue, une ordure. D’où ces paroles de la prosopopée du Père : «Si vous avez besoin de Mon Fils, cherchez-Le dans les ordures» (III, 189).
(...)
C’est désormais l’heure climatérique où le monde moderne ne peut plus que s’écrouler. Puisque Dieu n’a pu être trouvé sur cette terre, puisque son absence est devenue par trop insupportable, puisque les prêtres qui devraient le représenter sont devenus incapables de le servir, la prédiction de la Salette doit s’accomplir et la main du Fils doit tomber. Ce retour de Dieu, c’est le moment où les signes s’inversent. Ce père abandonné, ridiculisé dans son fils, va à son tour abandonner les hommes : «Vous connaîtrez, à votre tour, ce que c’est d’être abandonné de mon Père […]» (III, 280). Son absence liée à une impuissance volontaire va se transmuer en présence et toute-puissance. Le père renié deviendra un Dieu dévorateur : «Ma paternité n’aura plus d’entrailles, sinon pour vous dévorer» (ibid.). Et ses instruments seront justement ces misérables qui s’élèveront eux-mêmes «à la dignité de parfait démon» (III, 310). Le mal finira par secréter son antidote : in fine il participera mystérieusement de l’œuvre de salut.
Déjà, dans Le Désespéré, on n’est donc plus très loin de cette vision d’un Lucifer qui, selon Bloy, est «l’identique» (IX, 75) du Paraclet. C’est ainsi qu’on peut entendre ce trajet qui va de la mort du père, au début du roman, à celle du fils in ultima. Passé le temps du père, passé le temps du fils, doit advenir maintenant le temps du Paraclet. C’est la troisième figure de Dieu qui apparaît avec le Saint-Esprit, une figure qui donne tout son sens au roman.
(...)
Toute la terre apprendra, pour en agoniser d'épouvante, que ce Signe était mon Amour lui-même, c'est-à-dire l'ESPRIT-SAINT, caché sous un travestissement inimaginable» (III, 280).
(...)
Pour autant, l’image du père qui se dégage du Désespéré, c’est l’amour. Le père de Marchenoir aime son fils, bien qu’il s’interdise de le montrer. Après sa conversion Marchenoir se rue en même temps à Dieu et à la femme, comme s’il existait une mystérieuse identité entre celui qui est Père et fils né sans péché, et celles qui sont vouées à l’amour charnel. Pour Bloy, la luxure est le péché de ceux qui relèvent du Saint-Esprit (17). Si Marchenoir a fait «de l’amour extatique dans des lits de boue» (III, 66), c’est peut-être parce que ces «lits de boue» sont analogues à ces «ordures» où le fils doit être cherché. Après tout, la grande qualité de Marchenoir, c’est bien l’amour."


XP dans La main coupée : http://ilikeyourstyle.net/?s=la+main+coup%C3%A9e
"L’année dernière, en novembre, je suis sorti d’une boîte de nuit vers les trois heure du matin.
J’ai tapé la tête de ma copine contre le pare-brise d’une voiture parce ce que je ne supportais pas qu’elle me quitte, et je ne comprends décidément rien au ballet qui met en représentations toutes ces âmes qui se touchent, se donnent des coups de ventre et s’éloignent, avant de se tenir la main pour saluer le public.

Pour le dire d’un mot, je ne comprends rien du commerce qui lie les hommes entre eux, fait les couples, tisse des liens sacrés entre le père et le fils, le camarade et le camarade.
Je n’arrive pas à concevoir qu’a certains moments choisis par le ciel, je peux ressentir un amour intense, en faire part, et découvrir dans la foulée que l’autre ne fût pas touché, qu’il s’est forcé, que nous n’étions alors que deux solitaires faisant dans la comédie.
C’est un drame épouvantable, une tragédie Shakespearienne que cette histoire, ces millions d’hommes lancés sur terre et doués chacun du don d’aimer mais tous enfermés dans leur paquet de viande, élevés dans l’ombre d’une horloge personnelle qui les empêchent d’aller vers leurs frères et de les croiser vraiment."


et ce commentaire de Restif sur ce texte : "J’aime donc cette nouvelle pour ce qu’elle est à mes yeux de lecteur passager : un conte fantastique. Parce qu’on passe à travers la voix de l’acteur d’un fait brut brutalement raconté -”j’ai tapé la tête de ma copine” au thème de la route, route tordue, qui change d’altitude en un quart de seconde. Il y a un glissement presque imperceptible qui vient s’installer entre les mots. Ce fantastique qui passe par le silence. L’absence de description de la réaction de la mère. Le manque d’émotion de l’acteur principal du conte en découvrant sa perte. Tout cela déréalise l’atmosphère mais ce qui vient en lieu et place de cette réalité chassée, c’est la poésie. Entre temps se seront glissés modestes, presque circonspects, certains fragments d’amours déçus sur les hommes, ils seront venus là, pudiques et discrets, nous parlant cette fois d’une réalité plus vrai, plus intime, plus haute."


















Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire