« En ce temps-là se lèvera Michel, le chef des anges, celui qui veille sur ton peuple. Car ce sera un temps de détresse comme il n'y en a jamais eu depuis que les nations existent. Mais en ce temps-là viendra le salut de ton peuple, de tous ceux dont le nom se trouvera dans le livre de Dieu. "
"Esseulé, tu n'es cependant pas seul. Quand tu avances, la Bibliothèque marche avec toi."
(Christophe van Rossom, "Savoir de guerre")
J'ai lu récemment la célèbre uchronie de Philip K. Dick, "Le maître du Haut Château."
L'auteur imagine que la Seconde Guerre Mondiale a été gagnée par les Allemands (qui détiennent tout le bloc de l'Est) et les Japonais (qui tiennent eux, tout l'Ouest dont les États-Unis).
La fin de ce livre m'a inspirée de curieuses réflexions : une jeune femme, du nom de Juliana, acoquinée avec une espèce de nazi, se rend chez un écrivain qui a écrit une fiction, "La sauterelle pèse lourd". Cet ouvrage connait un grand succès au travers de tout le pays, mais c'est un ouvrage censuré par le pouvoir en place, que tout le monde lit sous le manteau.
Juliana, entraînée par son partenaire aux sombres secrets et buts inavouables (il veut éliminer l'écrivain), lit le livre, se débarrasse du tueur (en l'assassinant froidement) et décide coûte que coûte de rencontrer l'auteur.
Ce dernier lui avoue que ce livre, d'une certaine façon n'est absolument pas de lui, mais inspiré par l'Oracle (Le Yi King ou Livre des Transformations).
"Ce n'est pas qu'il pense sans cesse à toutes les choses du monde. Mais elles pensent à lui. Elles sont en lui, aussi le gouvernent-elles.(...) Son activité incessante est de rechercher en lui des harmonies, d'harmoniser le monde qu'il porte en lui." explique Hugo von Hofmannsthal, à propos du poète, dans "Le poète et l'époque présente".
Autrement dit, l'écrivain, ou le poète, n'est pas pour grand chose dans ce qu'il doit écrire. Tout son travail consiste à accoucher de ce monde qu'il porte en lui. Mais ce monde ne lui appartient pas d'une certaine façon. Il est. Qu'il le veuille ou non.
Juliana, la lectrice de Abendsen chez K. Dick, révèle alors à ce dernier un "secret" incroyable :
"Hawthorne leva la tête pour la dévisager. Il avait une expression presque féroce.
-Cela veut dire, n'est-ce pas, que mon livre est vrai?
-Oui, dit-elle.
-L'Allemagne et le Japon ont perdu la guerre? dit-il, fou de colère.
-Oui.
Alors, Hawthorne referma les deux volumes et se leva sans rien dire.
-Et même vous, vous ne regardez pas les choses en face, dit Juliana."
Ce passage hallucinant où la lectrice lambda révèle à l'écrivain lui-même que sa fiction est la réalité! C'est proprement prodigieux, ou plutôt génial de la part de K. Dick.
Sans les lecteurs, le livre n'est rien : un atome qui n'a pas explosé. Une balle toujours dans le chargeur. Il faut lire, tirer, tuer, mourir pour faire jaillir pardoxalement la vérité et la vie.
C'est le lecteur qui rend possible la vie du livre. La vie tout court. Le monde dont accouche l'écrivain ne survivra que grâce à la nourriture et aux bons soins du lecteur. Ce monde appartient au lecteur, il nous appartient.
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