Je continue avec la notion de Lecteur : je reviens à cette histoire de monde transmis par l'écrivain.
Quand je lis un livre, un texte, c'est un monde qui m'est restitué, par l'intermédiaire de la vision de l'écrivain. Un monde, le mien. Du moins, il me faut me l'approprier une fois que je l'ai reçu.
Je vais prendre l'image de l'accouchement : l'écrivain "accouche" d'un livre, qui nous dévoile un monde (l'essence des choses, imparfaitement). Toujours cette même citation de Hugo von Hofmannsthal :
"Ce n'est pas qu'il pense sans cesse à toutes les choses du monde. Mais elles pensent à lui. Elles sont en lui, aussi le gouvernent-elles.(...) Son activité incessante est de rechercher en lui des harmonies, d'harmoniser le monde qu'il porte en lui."
Le lecteur est celui qui reçoit ce "bébé" dans les bras. A lui de le chouchouter, de le laver, de le nourrir, d'en prendre soin.
Vous allez me dire : de quoi parlez-vous ? du livre ou du monde? Je répondrais : "les deux mon capitaine!" Parce que la vision du monde donnée par le livre, c'est cela qui va être notre réalité, sur laquelle on va pouvoir travailler.
Donc, lire, relire les grands écrivains, des textes majeurs ou mineurs, c'est cela qui nous permet de nous prendre en main, de prendre en main notre monde.
Cette lecture et relecture devient à ce moment là indispensable : lorsqu'on s'occupe d'un bébé, ce dernier grandit : c'est le même mais toujours en évolution constante. Nous évoluons, notre monde évolue mais c'est toujours le même.
Alors, le livre, là-dedans? Asensio m'a sorti un truc bizarre récemment : je lui demandais que représentait pour lui cette Parole, l'écrit qui s'est prostitué, ce Cadavre de la littérature qui n'en finit pas de mourir et qui ne peut que renaître de ses cendres. Il a fini par me dire (le Stalker) : Walter Benjamin (connais pas) pense qu'il s'agit de "l'âme du monde". Le livre, les livres sont cette "âme du monde", une "constante" qui ne cesse d'évoluer.
Il y a des lecteurs qui laissent tomber le bébé reçu. Il y en a qui explosent le bébé contre un mur. Il y a des lecteurs qui ne veulent pas de la vision de l'écrivain, qui refusent le monde tel qu'il est rendu par l'auteur et qui détruiront ce dernier pour être sûrs que ce monde n'apparaîtra jamais (cf. la fin du Maître du Haut Château,* cf. le simple fait que les premiers à être éliminés dans un régime totalitaire sont les écrivains, les poètes, les philosophes, les artistes).
Conclusion par Kundera, dans L'art du roman : "Le roman n'examine pas la réalité mais l'existence. Et l'existence n'est pas ce qui s'est passé, l'existence est le champ des possibilités humaines, tout ce que l'homme peut devenir, tout ce dont il est capable."
Ce qui signifie : rien n'est définitif dans le roman, c'est à dire dans l'homme : tout est possible, tout revirement est possible et même la fiction la plus aboutie (je pense par exemple à Grande Jonction de Dantec ou à la Route de MaCCarthy) peut ne pas avoir lieu même si certains signes flagrants nous indiquent une direction peu ou prou inéluctable.
Kundera dit toujours dans le même essai :
"C.S. : L'époque des paradoxes terminaux où vos romans sont situés doit donc être considérée non pas comme une réalité, mais comme une possibilité?
Milan Kundera : "Une possibilité de l'Europe. Une vision possible de l'Europe. Une situation possible de l'homme."
* Juliana à l'écrivain censuré : "-Bonne nuit, dit-elle en lui serrant la main. Faites ce que vous dit votre femme. Portez au moins une arme sur vous." (Le Maître du Haut château de Philip K. Dick)
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